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Renaissance dans un château


Clara, mon amie d’enfance, n’avait de cesse de me parler de ce site ancien éloigné de chez moi mais bien desservi par une ligne de bus.

« Étonnant, vas-y, je ne t’en dis pas plus » répétait-elle, soudainement songeuse, à chacune de nos rencontres.

Ma curiosité piquée, j’étais venue, profitant d’une après-midi solitaire.

Hésitante, je me trouvais face à la porte d’entrée d’un château. Je restais immobile, assaillie de questions.

Pourtant il me suffirait de pousser le battant de bois pour que je découvre ce qui offrait un tel mystère. L’aventure me tentait, mais voilà, aujourd’hui j’étais seule. Je m’étais tellement habituée à ce que Paul m’accompagne dès que je prévoyais une sortie. Dès lors que je devais aller à la rencontre de lieux ou de personnes inconnus, Paul était à mes côtés. Je profitais de sa présence rassurante pour me figurer que je pouvais être téméraire.

Peu assurée, je donnais un coup d’épaule dans la porte qui s’ouvrit dans un grincement sinistre. Je tressaillis. Aussitôt j’aperçus un escalier et dans un état second je commençais à en gravir les marches de pierre usée, faiblement éclairé par une meurtrière. Je percevais les battements de mon cœur, accélérés, puissants, tout comme ma respiration devenue désordonnée, ma déglutition difficile et bruyante. A ce moment-là j’aurais volontiers saisi la main de Paul. Pourtant je n’aurais pu affirmer que j’avais peur, la peur terrible qui vous coupe les jambes. Non, une nouvelle fois j’étais face à mon manque de hardiesse. Je connaissais par cœur cette sensation. Dans la solitude de situations inconnues, mon corps se rétractait, mon esprit s’embrumait, ma volonté m’échappait. Il ne me restait plus alors que l’abandon, la marche arrière.

Sans y prêter attention, j’étais parvenue en haut de l’escalier. Une porte en bois, sculptée, entrouverte, laissait échapper un rai de lumière. Je me faufilais par l’entrebâillement, me gardant bien de tout geste brusque. Je pénétrais dans une immense salle éclairée par la lumière douce d’une fin de journée. Une table que je jugeais de bois précieux, ornée de pieds ouvragés trônait en son milieu. De nombreux hôtes avaient dû s’y asseoir pour déguster mets et boissons raffinés. Tout autour, de hautes chaises tapissées de velours grenat et vert foncé qu’une fine couche de poussière tamisait de blanc. Je me penchais vers l’une d’elle et soufflait. Une myriade de particules lumineuses s’éleva devant mes yeux. Ce geste si enfantin me fit rire. Étonnée de cette fulgurante gaieté, je fis quelques pas de danse sur le parquet de chêne, fort bien conservé, révélant encore des motifs de bois plus sombre. Des drapés de tissu épais, reprenant la couleur rouge foncé des sièges ornaient les fenêtres, se soulevant majestueusement au gré du souffle du vent. De jolis rayons de soleil s’en échappaient, nappant le sol de traces lumineuses. Je m’immisçais entre les pans de rideaux. Tout autour du château des châtaigniers avaient été plantés. Seul parfois, un cèdre perçait de sa verdure cette corole déjà dorée par un été particulièrement sec. Imprégnée du silence de la salle, je m’attendais à ne percevoir aucun bruit extérieur, pourtant des hirondelles qui devaient nicher encore non loin de là égayaient cette sobre atmosphère de leurs gazouillis joyeux. Petit serpent argenté, une rivière se frayait un chemin parmi ces arbres centenaires, accrochant de-ci-de-là ses notes cristallines et fraiches.

Un coup d’œil à ma montre m’avertit que je devais rejoindre l’arrêt de bus. A 18h30 précises j’entendis arriver le car. Le voyage, comme à l’aller, serait long. Unique passagère, je m’installais confortablement à l’arrière et fermais les yeux. Me revint en mémoire l’invitation de ma cousine. Elle fêtait l’acquisition d’un vieux mas, qu’elle décrivait isolé en pleine campagne. « Viens, tu vas voir c’est un endroit superbe. Il y aura plein d’amies qui sont de nouvelles connaissances. Ah oui ! pour changer on se fait la bringue entre filles » m’avait-elle annoncé en riant. De Paul, il n’était pas question. Par avance perdue, je bafouillais des excuses pour ne pas m’y rendre. Mais là, sur le chemin du retour commençait à surgir en moi une sensation étrangère. Fière, oui, je me sentais fière, très fière même. Seule j’avais osé. Je saisis mon téléphone, composai le numéro de ma cousine. A peine avait-elle eu le temps de prononcer « Allo ? » que je lui criais joyeusement « Je viens ».


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