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PEREC SARRAUTE ERNAUX

Dernière mise à jour : 4 avr. 2020

1) Il vient de traverser la place Saint-Marc faisant s’envoler des centaines de pigeons. Ses enjambées sont longues et rapides. Peut-être va-t-il à un rendez-vous et est-il en retard ? Du haut de mon balcon et malgré la brume et la lumière grise, j’ai remarqué immédiatement sa démarche insolite lorsqu’il a été dans mon champ de vision. Ce ne peut-être qu’un italien. Vêtu élégamment en costume gris clair et nœud papillon rose. Dans une main un parapluie fermé, dans l’autre un bouquet de fleurs multicolore. Est-il angoissé par la personne qui l’attend ou bien impatient de retrouver sa bien-aimée. Comment savoir s’il est un amoureux calme ou un indifférent stressé. Le vol de pigeons est de retour après avoir tournoyé autour du quartier. Aussitôt posés aussitôt dispersés par un fiacre attelé d’un cheval noir surmonté d’un pompon rouge, conduit par un coché vêtu de noir et emmitouflé d’une cape. Son couvre-chef est le seul point coloré de rouge à l’image de la coiffe du cheval. Je distingue à peine l’écusson apposé sur la porte mais devine les armoiries aristocratiques. Un bras féminin joliment vêtu est tendu hors de la fenêtre. Sous les dentelles de la manche, une main pâle tient une paire de gants verts foncé. Dans l’ombre de la cabine, un visage clair avec des traits fins, une bouche carmin, auréolé d’une chevelure rousse. Aurait-elle rendez-vous avec le monsieur de tout à l’heure. Au bout de rênes le cocher à l’air indifférent à ce qui se passe sur la place tant il a dû venir un nombre incalculable de fois ou bien ses conditions de travail ne le satisfont pas et il a du ressentiment envers sa patronne. Au sein d’une foule il doit être attentif à sa conduite afin d’éviter un accident. La comtesse ou la baronne ne supporterait pas un retard par sa faute. Les pigeons omniprésents sont à terre sur les pavés anthracite et mouillés et font barrière à un groupe de touristes. Une femme gesticule et cris. Trois homme l’entoure et lui parlent, mais elle hurle de plus belle lorsque l’un de ses compagnons la tire par le bras vers les oiseaux. Si elle avait la phobie des bêtes à plume elle ne réagirait pas autrement face à cette harde de volatiles. Il est évident qu’elle panique. Est-il raisonnable de visiter cette place mondialement connue recouverte ou survolé en permanence par des milliers de pigeons ? Le soleil fait mine d’apparaitre en même temps qu’une légère ondée. Immédiatement plusieurs dizaines de parapluies s’ouvrent simultanément. Ils sont tous noirs sauf un jaune plus vaste que les autres. Le soleil brille sur les pavés et illumine les jambes courtement vêtues protégées par le parapluie soleil

2) Mon esprit s’envole vers cette créature. Il en fait plusieurs fois le tour histoire d’admirer attentivement les moindres détails de cette huitième merveille du monde. Elle sent que je l’observe, soulève lentement son parapluie et le ferme avec malices. Son regard se tourne à la recherche de l’espion qui l’admire. Aurait-elle captée mes ondes grivoises ? J’ai un peu honte derrière mes jumelles là-haut sur mon point d’observation. Elle a dû voir le reflet de ma lunette car la voilà qui me fixe intensément avec un sourire coquin. Je l’imagine célibataire. Elle est jeune, jolie, très jolie même. Un charme plus qu’une beauté. Cherche-elle un homme, un mari, un amant pour une relation passagère ? Ou bien elle est en quête d’un client. Cette perspective me chagrine. Je décide de voir en elle l’artiste peintre ou sculptrice, la femme libre savourant chaque instant de la vie. Elle a fait ses études à Rome, y a découvert et appris les œuvres des meilleurs artistes italiens. Attirée par les fêtes privées, le carnaval se prolongeant jusque dans les palais bourgeois, elle est venue s’encanailler à Venise. La galerie qu’elle dirige fonctionne bien, de nombreuses expositions très appréciées lui ont permis de pénétrer le milieu riche et caché vénitien. Je décide d’aller à sa rencontre et je descends dans la rue qui mène sur la place. Je me presse dans l’espoir de la surprendre mais quand j’arrive elle a disparu. Découragé j’entre dans la brasserie reprendre du courage avec un verre de cognac.

3) UN vent d’ouest a poussé les nuages lourds et bas vers les terres soulageant enfin Venise d’une partie de son humidité. Le soleil sèche vite les pavés glissants de la place. Alors je sors du bar en dessous de chez moi pour apercevoir furtivement les deux longues jambes escortées du parapluie jaune. J’emboite le pas à cette silhouette pour la voir se jeter dans les bras du galant italien aperçu quelques temps avant. La baronne doit-être verte de jalousie de la couleur de ses gants. Je suis déçu et un peu jaloux et mes phantasmes redoublent de vitesse. Le couple soudé comme des siamois s’engouffre dans le petit hôtel de la rue saint-Pierre. Parfois la passion du jeux pousse l’être humain à des folies incongrues. Ces jeunes gens vont certainement disputer une partie d’échecs. Je vois la femme choisir les pions noirs et laisser à son cavalier blanc les autres. Le noir de ses cheveux, de ses yeux, le blanc de ses collants, de ses vêtements, de ses dents dans son sourire. Je fais le tour du pâté de maisons et reviens par la rue Jean-Paul 2 en savourant les derniers rayons de soleil. La baie vitrée du salon de thé de l’hôtel reflète la lumière et m’éblouie. Ils pourraient bien être derrière la vitre, mes amoureux de part et d’autre d’un damier et jouer. Lui fait la moue et elle rit de sa belle dentition. Le blanc est mat, le noir lumineux. Un serveur leur apporte deux parts de tarte, une théière et deux tasses. J’entre à mon tour, commande un baba au rhum puis m’assoie à une table en essayant de voir les amoureux dans la lumière dorée qui inonde la salle. Mes lunettes de soleil sont restées sur ma terrasse et aveuglé je ne peux qu’imaginer cette curieuse scène. Longues jambes tapote gentiment le genou de l’italien. Il lui dit qu’il doit s’en aller rejoindre la comtesse d’Asti avant qu’elle ne lance un avis de recherche. Le serveur m’a tiré de ma rêverie puis j’ai englouti mon gâteau et suis sortie une tristesse sur la poitrine. J’ai terminé la soirée en longeant le canal Saint-Mathieu qui venait de s’enflammer dans les derniers rayons ocre du couchant.

Patrick O


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