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  • Photo du rédacteurCMT

Pérec, Sarraute, Ernaux

Dernière mise à jour : 25 mars 2020

1) Il vient de traverser la place Saint-Marc faisant s'envoler des centaines de pigeons. C’est un rapide. Peut-être va-t-il à un rendez-vous et est en retard ? Du haut de mon balcon et malgré la

brume et la lumière grise, je l’ai vu immédiatement lorsqu’il a été dans mon champ de vision. Ce ne peut-être qu’un italien. Vêtu élégamment en costume gris clair et nœud papillon rose. Dans

une main un parapluie, dans l’autre un bouquet de fleurs multicolore. Est-il angoissé de rater la personne qui l’attend ou bien impatient de retrouver sa bien-aimée. Comment savoir s’il est un amoureux calme ou un indifférent stressé. Le vol de pigeons est de retour après avoir tournoyé trois fois autour du quartier. Aussitôt posés aussitôt dispersés par un fiacre attelé d’un cheval noir surmonté d’un pompon rouge, conduit par un coché vêtu de noir et emmitouflé d’une cape noire. Seul son couvre-chef émet un point coloré de rouge à l’image du cheval. Je distingue à peine l’écusson apposé sur la porte en dessous la fenêtre de la porte. C’est illisible mais je vois bien le bras qui dépasse dehors. Une manche en strass noir dévoile une main blanche tenant une paire de gants verts foncé. A l’autre extrémité du bras, un visage pale avec des traits fins, une bouche carmin, le tout entouré d’une chevelure rousse. Cette femme à la beauté diaphane a peut-être rendez-vous avec le monsieur de tout à l’heure. Le cocher à l’air indifférent à ce qu’il se passe sur la place tant il a dû y conduire tant de fois. Il est de toute évidence employé par la femme qu’il transporte. J’imagine volontiers son titre : comtesse ou baronne. Les pigeons omniprésents sont à terre sur les pavés anthracite et mouillés et font barrière à un groupe de touristes. Une femme gesticule et crie. Trois homme l’entourent et lui parlent, mais elle hurle de plus belle lorsque l’un de ses compagnons la tire par le bras vers les oiseaux. Si elle avait la phobie des bêtes à plume elle ne réagirait pas autrement face à cette harde de volatiles. Il est évident qu’elle panique. Est-il raisonnable de visiter cette place mondialement connue recouverte ou survolé en permanence par des milliers de pigeons ? Curieusement le soleil fait mine d’apparaître en même temps qu’une légère ondée. Immédiatement plusieurs dizaines de parapluies s’ouvrent simultanément. Ils sont tous noirs sauf un jaune plus vaste que les autres. Le soleil brille sur les

pavés et illumine les jambes courtement vêtues protégées par le parapluie soleil. Je m’imagine volontiers avoir rendez-vous avec cette beauté aux jambes infinies, plus surement qu’avec l’autre

comtesse.


2) Les jambes fuselées vêtues de soie claire luisent dans la lumières du soleil. Mon esprit s’envole vers ce paradis interdit. Il en fait plusieurs fois le tour histoire d’admirer attentivement les

moindres détails de cette huitième merveille du monde. Elle sent que je l’observe, soulève lentement son parapluie et le ferme avec malices. Son regard se tourne à la recherche de l’espion qui l’admire. Cette vraie femme a capté mes ondes grivoises. J’ai un peu honte derrière mes jumelles là-haut sur mon point d’observation. Elle a dû voir le reflet de ma lunette car la voilà qui me fixe intensément avec un sourire coquin. Je l’imagine célibataire. Elle est jeune, jolie, très jolie même. Un charme plus qu’une beauté. Cherche-elle un homme, un mari, un amant pour une relation passagère ? Ou bien elle est en quête d’un client. Cette perspective me

chagrine. Je décide de voir en elle l’artiste peintre ou sculptrice, la femme libre savourant chaque instant de la vie. Elle a fait ses études à Rome, y a découvert et appris les œuvres des meilleurs

artistes italiens. Attirée par les fêtes privées, le carnaval se prolongeant jusque dans les palais bourgeois, elle est venue s’encanailler à Venise. La galerie qu’elle dirige fonctionne bien, de nombreuses expositions très appréciées lui ont permis de pénétrer le milieu riche et caché vénitien. Je décide d’aller à sa rencontre et je descends dans la rue qui mène sur la place. Je me

presse dans l’espoir de la surprendre mais quand j’arrive elle a disparu. Découragé j’entre dans la brasserie reprendre du courage dans un verre de cognac.


3) Un vent d’ouest a poussé les nuages lourds et bas vers les terres soulageant enfin Venise d’une partie de son humidité. Le soleil sèche vite les pavés glissants de la place. Alors je sors du bar en

dessous de chez moi pour apercevoir furtivement les deux longues jambes escortées du pépin jaune. J’emboîte le pas à cette silhouette pour la voir se jeter dans les bras du galant italien de ce

matin. La baronne doit-être verte de jalousie de la couleur de ses gants. Je suis déçu et un peu jaloux et mes fantasmes redoublent de vitesse. Le couple soudé comme des siamois s’engouffre dans le petit hôtel de la rue saint-Pierre. Parfois la passion des jeux pousse l’être humain à des folies incongrues. Ces jeunes gens vont certainement disputer une partie d’échecs.

Je vois la femme choisir les pions noirs et laisser à son cavalier blanc les autres. Le noir de ses cheveux, de ses yeux, le blanc de ses collants, de ses vêtements, de ses dents dans son sourire. Je

fais le tour du pâté de maisons et reviens par la rue Jean-Paul 2 en savourant les derniers rayons de soleil. La baie vitrée du salon de thé de l’hôtel reflète la lumière et m’éblouie. Ils pourraient

bien être derrière la vitre, mes amoureux de part et d’autre d’un damier et jouer. Lui fait la moue et elle rit de sa belle dentition. Le blanc est mat, le noir lumineux. Un serveur leur apporte deux

parts de tarte avec une théière et deux tasses. J’entre à mon tour, commande un baba au rhum puis m’assoie à une table en essayant de voir les amoureux dans la lumière dorée qui inonde la salle et comme dans un film j’imagine plus que je ne vois. Longues jambes tapote gentiment le genou de l’italien. Il lui dit qu’il doit s’en aller rejoindre la comtesse d’Asti avant qu’elle ne lance un avis de recherche. Le serveur m’a tiré de ma rêverie puis j’ai englouti mon gâteau et suis sorti une tristesse sur la poitrine.


Patrick Oubré


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