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Woolf, Juliet

Dernière mise à jour : 31 mars 2020


1. Juillet, Vendredi, le...


La queue partout, ça commencait dans la boulangerie, ce matin pas de pains aux raisins, pas de croissants à 6:30. Ridicule. Et aussi pas de sucre pour mon café, la vendeuse aux yeux ronds haussa ses épaules, un peu trop moqueuse je trouvais. Cela m'a mis aussitôt de mauvaise humeur. Toute la journée des queues, du monde, un peu de malchance partout (je ratais un texte préparé pour Madame la Juge, l´ordinateur n´a pas sauvé mon exposé écrit en trois heures hier soir, grande m..). A 15:30 la migraine, 16:50 Madame la Juge m'a trouvé très pâle et m´a renvoyé chez moi une heure avant le temps.

J´ai décidé de prendre la route vers le parc, c´est un peu plus long mais assez agréable. Un petit délice. En marchant j´ai eu l´impression d´avoir une tête grosse comme une cloche de Notre Dame et aussi lourde. Je ne pouvais presque pas lever mes pieds. Pas loin de l'entrée, un banc ombragé; personne n´y était assis, un miracle. Je m´y laissais tomber, fermais mes yeux, la tête de cloche posée au bois du dossier. Le bruit brut de la cité s´éloignait devenant une berceuse. Juste avant le petit sommeil un cri de surprise, une main sur mon épaule (je déteste être touchée à partir de rien). La voix m´appelait Christine, prétendant être étonnée, en utilisant un cliché comme: incroyable c´était vraiment moi! Et quelle joie c´était de me voir, quel heureux hasard! Je n'ai pas reconnu la voix. J´aurais juré que je ne connaissais pas la personne qui parlait. Les voix m'apportent toujours des images, une impression visuelle si vive que je ne l'oublie jamais. Ici: aucune idée. Même pas une nouvelle. Rien, le vide. Une voix de rien. Un corps qui se met a côté de moi, le banc gémit.[1] Une impertinente, je me disais. Je ne voulais pas ouvrir les yeux. Je sentais la chaleur d´un corps trop près de moi, un souffle près de mon oreille qui déclarait que je ne pouvais pas être endormie,c'était impossible, jamais je ne pouvais m´endormir en public. Mauvais essai, je pensais. Je peux dormir partout si on me laisse, surtout si j´ai la migraine et que chaque son laisse retentir le battant de la cloche. Je me maudis pour m´être assise sur le banc. Encore pas mon jour. J´ouvris les yeux. La femme semblait d´être de mon âge.. Une blanche-neige aux yeux bleus et cheveux noirs. Son visage grand, un peu plat, un nez sans destin. En regardant plus près je voyais qu´elle avait déjà des rides profondes traversant son front. A la fin m'étais-je trompée sur son âge.? D´un autre côté elle était habillée très à la mode. Elle parlait avec un sourire immortel qui semblait vouloir expliquer la relation entre les mots rigole et rigoler. Je n´avais pas la force de réfléchir, mais sans le moindre doute: Son visage ne me disait rien, son nez me disait rien, ni ses oreilles ni ses yeux ni ses cheveux ne voulaient me dire quelque chose. C´était une inconnue absolue. Elle rit très fort quand elle comprit que je ne la connaissais pas, mais quand même elle continuait de sortir ses mots. Elle parlait de notre école qui n'était que son école, des professeurs aimés et détestés aux noms méconnus, nos premières ivresses avec des garçons qui n´ont jamais été mes amis, .. elle racontait des histoires d´une inconnue, mais j´étais trop malade pour la contredire. Je la laissais parler, sa voix était assez agréable pour fermer les yeux encore une fois. Elle parlait comme un rêve pourrait raconter, je n´avais aucun souvenir qui coïncidait avec ses histoires, mais je l´écoutais quand même. Je suivi ses images hypnotiques. C´était encore plus agréable que le bruit perdu de la cité. Je ne sais pas combien de temps nous sommes restées ensemble sur le banc. Elle ne demandait jamais des choses, elle ne voulait que parler. J´étais comme le trou dans ce conte pour enfants très connu, rempli des mots qu´on ne peut pas raconter à personne. Pauvre folle, je me disais, mais je commençais à la trouver intéressante, à aimer ses petites histoires d´un vie j´aurais pu avoir. Soudain elle a ri, je l'ai entendu se mettre debout, elle a agité avec enthousiasme un adieu et elle est partie, comme ça. Je n´avais pas dit un seul mot. Je n´ai même pas ouvert les yeux une deuxième fois pour elle. Quand je me suis levée plus tard, j´ai senti un vertige. Je ne m´appelle pas Christine, mais à cet instant accoudée au dossier du banc gris, j´avais voulu être la personne dont la femme avait parlé.

2. Samedi, le...

Ce matin, je me suis réveillée avec son image dans la tête. Je me souviens que dans le rêve, je ne pouvais pas voir clairement son visage, mais avec la certitude que l'on n'a que dans les rêves, je savais que c'était elle. En relisant le journal d'hier, je me demande si l'expérience d'hier s'est vraiment produite. Mais dans le rêve, elle était là. Elle portait une robe colorée aux couleurs vives et lumineuses et elle chantait une chanson que je ne connaissais pas mais qui était très belle, peut-être un peu trop triste. Comment une parfaite étrangère peut-elle s'occuper de mes rêves ? C'est peut-être les excroissances de ma migraine, qui a complètement disparu aujourd'hui. Mais je porte toujours la petite mélodie du rêve dans ma tête, je me retrouve même à la fredonner. Je n'ai jamais rêvé de musique avant. Jusqu'à présent, je n'ai rêvé qu'en mots et en images.

3. Octobre, Mardi, le..

Je n'avais pas l'intention de démissionner. Mais aujourd'hui, quand Madame Le juge m'a grogné dessus à nouveau, parce que j'avais oublié un petit mot sec, un mot juridique typique, la maladie d'un mot, un mot qui empêche toute évanescence, toute respiration, un mot qui ne signifie que ce qu'il signifie et rien de plus, à ce moment, quand elle a crié, en crachant du bout des lèvres, que je ne serais jamais une bonne avocate, si je faisais de telles erreurs, j'ai immédiatement compris qu'elle avait raison. Je ne serai jamais une bonne avocate. Je lui ai fait un signe de tête lent et réfléchi et lui ai dit que je partirais et ne reviendrais jamais. Elle a ouvert de grands yeux, elle ne le pensait pas après tout. Mais je lui ai assuré que je n'étais pas en colère, qu'elle m'avait seulement aidé à me connaître. Mais ma décision était prise. Ce serait certainement ma dernière semaine. Elle a dit que je devrais y réfléchir, mais je n'ai pas à le faire. Je sais que ma décision est claire, que c'est la bonne. En quittant le bureau, j'ai vu au loin une femme qui me rappelait de loin mon apparition dans le parc. Elle a couru dans ma direction, mais n'a pas levé le bras pour me faire signe. Peut-être me suis-je trompée.

4. Aout, Jeudi, le ..

Maintenant, je m'assieds souvent dans le petit café du coin et j'observe les gens. J'ai toujours aimé faire cela. Je vois leurs gestes, leurs expressions faciales, leurs rires, leur sérieux, et j'invente leurs histoires. Parfois, on écrit plus précisément si on prend les personnes inconnues comme modèle de vos propres pensées. Ces derniers mois, j'ai d'ailleurs placé quelques articles dans divers journaux. Demain, j'ai rendez-vous avec un éditeur pour mon premier petit roman. Je suis enthousiaste et un peu nerveuse, bien sûr. Comme ma vie a changé après ma décision de l'année dernière!

Aujourd'hui, une femme s'est assise à ma table. Toutes les tables étaient occupées et il ne restait des sièges qu'à la mienne. J'ai répondu à son regard interrogateur par un hochement de tête amical, sans vraiment renoncer à ma concentration. Elle n'a rien dit, elle m'a laissé écrire tranquillement en remuant sa tasse de café . J'ai écrit les derniers mots que je ne voulais pas oublier, puis je l´ai regardé de plus près. Elle me rappelait quelqu'un, je ne savais pas exactement qui. La femme semblait être de mon âge.. Une blanche-neige aux yeux bleus et cheveux noirs. Son visage grand, un peu plat, un nez sans destin. En regardant de plus près je voyais qu´elle avait déjà des rides profondes traversant son front. A la fin m'étais-je trompée sur son âge? D´un autre côté elle était habillée très à la mode. Elle n´a rien dit. Elle m'a juste fait un sourire amical un peu comme si nous nous connaissions. J'ai mis l'argent pour mon café sur la table, ai pris mon carnet et je suis partie en traversant les tables vers le trottoir. Soudain, j'ai su qui elle était. Il fallait que je ris. À cause de cette femme, mon nom de plume est Christine Vendredi. Mais quand je me suis retournée pour lui faire signe, pour la remercier, la table où nous étions assis côte à côte était vide. Et tout ce que j'ai vu, c'est une tasse de café qui se tenait là.

Nicola

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