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  • ANNE

Contes en atelier : Quand la vieillesse nous gagne !


Elle avait toujours attendu la vieillesse avec impatience. Celle-ci ne venant pas aussi vite qu’elle aurait pu l’espérer, elle n’avait jamais su profiter de son enfance, de son adolescence, de sa vie de jeune femme et de femme plus mûre.

Enfant, alors que ses camarades jouaient à la poupée, se déguisaient en princesses, sautaient à la corde, Retpee Nap se coiffait de vieilles perruques grisonnantes, portait les blouses à fleurs et les charentaises de sa grand-mère. Elle se maquillait en traçant de larges sillons sur son visage et se déplaçait à l’aide d’une canne, voûtant son dos et singeant une démarche très lente. Retpee Nap ne souriait jamais et d’une voix chevrotante, elle s’adressait aux autres uniquement pour les agresser, les insulter en brandissant sa canne.

Depuis très longtemps maintenant, elle habitait sur l’île des vieillards perdus avec ses compagnes et compagnons tombés dans la décrépitude, et en était la chef.

Certaines nuits, Retpee Nap, quittait son pays imaginaire pour partir à la rencontre de vieilles gens esseulées et leur proposer de venir mourir d’ennui sur son île.

Ce soir là, bien calée dans son fauteuil roulant volant, elle espérait que celui-ci la conduise au Grand Hospice de Londres. Elle y ferait, c’est certain, de merveilleuses rencontres. Pourtant, il n’en prenait malheureusement pas le chemin. Retpee Nap, s’agrippant aux roues, appuya ses pieds sur le levier de direction afin d’indiquer à son fauteuil où elle souhaitait se rendre. Mais il fit mine d’ignorer ses indications et il se dirigea là où lui l’avait décidé.

Il se posa enfin. De grosses gouttes perlaient sur le visage de la vieille dame, elles suivaient, disciplinées les tranchées creusées par le temps et venaient mourir dans le cou décharné. Les yeux de Retpee Nap se perdaient dans leurs cavités, la vieille femme ne bougeait plus.

Soudain, elle leva son bras, s’appuya difficilement sur sa canne et se dressa. Elle frappa d’un violent coup de canne son fauteuil pour lui infliger la correction qu’il méritait ce qui entraîna sa disparition immédiate! Affolée, elle fit un premier pas dans la foule, puis deux, puis prenant un plus d’assurance, elle se fraya un passage en poussant les gens sans oublier de les injurier en maugréant ses vilains mots.

Mais comment, elle, qui avait toujours détesté s’amuser, rire, partager de délicieux moments en famille pouvait elle se retrouver au beau milieu de ce parc d’attraction ? Elle parcourait les allées. Les odeurs de barbe à papa, de crêpes fourrées à la pâte à tartiner discount, de churros lui soulevaient le cœur. Les cris des enfants dans les manèges l’insupportaient et tous ces gens heureux qui riaient et se faisaient prendre en photo aux côtés de pantins géants la désespéraient. C’est alors qu’elle sentit qu’elle ne pourrait pas garder son dernier repas, la merveilleuse soupe d’orties et de pissenlits de Monsieur Dubois, son voisin grabataire du pays imaginaire. Elle cracha le bouillon vert sur les pieds de la souris géante qui visiblement ne se rendit compte de rien. Aussitôt un homme aux allures de vieux sorcier apparut dans un nuage de poussière.

- Que faites-vous ici ma mignonne ? Vous semblez perdue ? demanda-t-il à Retpee Nap.

- Tu as fait beaucoup d’années d’étude pour être capable d’une telle analyse ? Évidemment que je suis perdue ! Fais quelque chose pour moi, je ne supporterais pas de rester ici une minute de plus. Je veux rentrer chez moi !

- Oh ! Attendez un peu, chère Madame, voilà une curieuse façon de demander de l’aide à un vieux sorcier. Si tu veux t’échapper d’ici, tu vas devoir me rendre un petit service. Vois-tu, je suis le directeur de ce parc et la personne qui devait se déguiser en Reine des Neiges, est souffrante. Toutes les petites filles attendent son apparition avec impatience. Certaines ne sont venues que pour vivre cet instant merveilleux où elles pourront toucher leur héroïne adulée.Endosse ce costume et promène-toi dans les allées du parc. Parle aux enfants, prends la pose pour les photos et distribue à chacun d’eux une petite sucette bleu glacial et ce soir, à la fermeture du parc, tu retrouveras ton île.

Retpee Nap réfléchit à la proposition du sorcier. Une telle épreuve lui paraissait insurmontable ; elle tourna le dos à l’homme qui semblait bien se jouer de sa détresse et elle se mit à errer dans le parc. Son œil fut alors attiré par une vieille façade garnie de toiles d’araignées. Elle s’arrêta, poussa une vieille porte vermoulue qui grinça et entendit de curieux bruits : des gémissements, des soupirs qui semblaient tous venir d’outre-tombe. Ce lieu lui plût. Pour la première, depuis qu’elle avait atterrit dans ce parc, elle se sentait étrangement bien. Des squelettes s’agitaient dans le noir. Un vieux train passa devant elle, il manqua la faire vaciller. Elle s’assit alors dans la pénombre sur un rocher qui bordait les rails et à chaque passage des wagons, elle brandit sa canne en insultant les passagers. Les enfants et leurs parents poussaient des cris de frayeur stridents ; elle exultait !

Reptee Nap décida de passer le restant de sa vie ici, à terroriser les gens. Elle était ravie de ne pas avoir cédé au chantage du sorcier. Et dans le parc, les gens se précipitaient pour découvrir la nouvelle installation du train fantôme.

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