Il était une fois une jeune fille très belle, au teint de rose et aux cheveux blonds comme les blés, à la longue et mince silhouette (taille 36), qui vivait dans une jolie chaumière (T4, cuisine ouverte sur vaste séjour, chauffage par pompe à chaleur) à l’orée d’un village anglais, Bolton, jumelé avec Robion. Elle était bergère et fabriquait de délicieux fromages avec le lait de ses blanches brebis. Elle les vendait chaque semaine sur le marché bio de Manchester. Tout le village l’appréciait, mais elle se lamentait car la pauvre n’avait qu’un œil valide.
Aucun homme ne voudra m’épouser se lamentait-elle, encore moins un prince charmant, une vedette de la Star –Ac ou un footballeur. Même s’il passait par ce village, il ne s’arrêterait surement pas ébloui par ma beauté. Et la pauvre, en pleine déprime, n’avait comme réconfort que de mettre des photos de ses brebis sur Instagram. Mais cela l’endormait…
Un beau jour, notre bergère gagna un voyage séjour tout compris à la tombola de Noël de son village. Elle confia son troupeau à sa voisine et s’envola pour les Canaries, une destination très prisée des Anglais. Ils savaient pouvoir y trouver des piscines chauffées à l’ombre de bananiers et de la bière tiède comme chez eux, dans de faux pubs décorés de jeux de fléchettes. Mais, à cause d’un risque d’attentat, son avion fut détourné et dut se poser à Bilbao.
Le port du pays basque espagnol est immense et subit de fortes pluies. La bergère chercha refuge dans le musée Guggenheim, dont l’architecture molle se répand sur le port. Hélas, elle se perdit dans le labyrinthe de bronze érigé là par le sculpteur Richard Serra.
Après avoir erré entre les hautes parois d’airain pendant trois bons quarts d’heure, la bergère, qui avait imprudemment chaussé des stilettos pour cette visite, était épuisée. Elle essaya de consulter son GPS sur son portable, mais le bronze brouillait le signal. Elle s’assit dans un angle, découragée, lorsqu’un charmant jeune homme au profil grec et au sac à dos de routard arriva. Qu’il est mignon ! pensa-t-elle. Mais elle se garda bien de le lui dire et, se relevant, lui demanda s’il savait où était la sortie.
Oui, oui, bien sûr, je connais bien le coin dit-il en souriant d’un air narquois. Mais on n’a rien sans rien : pour sortir, il faut me promettre d’embrasser personne. La bergère fut bien un peu étonnée, mais elle suivit le routard.
Ca fait longtemps que vous voyagez ? lui demanda-t-elle au bout d’un moment.
Presque vingt ans. Asie mineure, îles du Dodécanèse, Cyclades, Tunisie… Maintenant, je voudrais rentrer chez moi.
De son œil valide, la bergère regardait ce charmant voyageur. Elle qui n’avait jamais vu d’autres pays qu’à la télévision, était sous le charme de ce grand baroudeur. Rien qu’à le regarder, elle sentait le grand souffle épique de l’aventure l’emporter.
Ils arrivèrent bientôt à un carrefour de métal. Au bout d’une des allées, la lumière du jour, faible encore, se distinguait.
Ah, voilà la sortie s’exclama-t-elle. Brusquement, le jeune homme se pencha vers elle et l’embrassa tendrement.
Elle recula brusquement. Mais tu m’avais dit d’embrasser personne ! lui reprocha-t-elle, en souriant cependant.
Personne, c’est ça, c’est mon nom… Et, rajustant son sac à dos, il l’entraina vers la sortie en sifflotant.
Tu as lu l’Odyssée ?
