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Contes en atelier : Le chemin rebroussé



Le grand salon est désert et baigne dans une lumière crue qui la gêne. Aujourd’hui le soleil est fort et ses pauvres yeux ont du mal à l’apprivoiser.

Elle est assise dans son fauteuil préféré, face au jardin doré en ce début d’automne. Elle a un peu froid, le feu dans la cheminée ne la réchauffe pas encore ; ses mains desséchées reposent sur les accoudoirs, le visage blême, autrefois si lumineux, ne reflète plus rien, et les éclairs ébène de ses yeux qui frappaient jadis ses interlocuteurs n’atteignent maintenant que la limite de la fenêtre ; le noir si brillant de ses cheveux a disparu, remplacé par une masse grise, encore dense cependant, son unique fierté.

Son physique glorieux n’est plus qu’un souvenir mais l’esprit est toujours là, clair, alerte, à l’affût de tout ce qui est vie ; et en ce matin d’octobre l’ennui se fait plus pressant. Elle a envie de le laisser là, planté, seul, sans possibilité de la poursuivre.

C’est décidé, elle va aller en ville, cela fait des années qu’elle n’a pas fait cette démarche. Le bus passe à quelques mètres de la maison ; elle se lève, le manteau douillet est dans l’entrée, les bottes, et en avant !

Le chauffeur est avenant et elle s’installe sur le siège derrière lui ; des passagers montent et descendent tout au long du trajet et cela la fascine.

Il faut qu’elle se décide, quand va-t-elle descendre ? Elle ne reconnaît plus rien, où est passé la ville de sa mémoire ? Elle prend l’initiative, au prochain arrêt, elle se lance.

Les rues sont animées, autour d’elle les gens vont, viennent, paraissent pressés, mais où courent-ils ? Les vitrines l’attirent, elle ne sait plus où regarder. Elle marche sans préoccupation, libre de nouveau, mais où est-elle ? Elle continue à avancer.

La journée est bien entamée, elle a marché longtemps, sans but, juste le plaisir de retrouver toutes les sensations d’antan, mais maintenant la nuit est proche et elle voudrait rentrer, la parenthèse est terminée. Comment retrouver l’arrêt du bus et surtout comment retrouver sa maison si étouffante mais aussi tellement rassurante ?

Une angoisse commence à la tenailler, à qui demander ? Où se diriger ?

Ovidel mon Ange, toi qui m’a aidée ma vie durant, viens, je t’en prie, viens à mon secours et tu verras, toi qui as toujours voulu vivre une vie d’homme, je vais t’aider. Tu sais que j’ai moi aussi certaines « possibilités », certes pas celles de retrouver mon chemin, mais je peux essayer de te faire trouver le tien. L’humanité n’est pas si facile à assumer, mais si tel est ton souhait, nous allons essayer d’y accéder.

Soudain un jeune homme est devant elle. De haute taille, des cheveux roux foncé (elle a toujours adoré cette couleur). Ses yeux bruns et doux la regardent, elle ne l’a jamais vu mais elle est sûre que c’est lui, enfin elle le voit !

Il ne dit rien et la prend par la main, il la conduit devant une grande porte cloutée, ancienne, d’un bois précieux. Elle ne sait pas où elle est. Il ouvre la porte ; une vision légèrement familière s’offre à elle ; un couloir dallé les engage à continuer le voyage ; elle s’accroche à lui, confiante et docile. Au bout, une ouverture, un salon, mais… c’est son salon ! La même décoration, les mêmes meubles, et aussi les tableaux !

Tous deux s’avancent et une porte s’ouvre ; dans l’encadrement, une jeune femme, les cheveux d’un noir brillant, le regard ébène affirmé, le teint pâle mais éclatant ; elle lui sourit et Ovidel se met à parler : Je ne fais pas les présentations, tout le monde se connaît, je crois ; le moment est venu, la jeunesse éternelle m’ennuie et je veux cette vie d’homme. Je veux la vivre à ton côté. Et il regarde les deux femmes tour à tour.

Le temps est venu d’accomplir la prophétie.


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