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Conte de Noël 1. ou De l'usage immodéré du pronom ON !

C’était l’époque où mes sœurs et moi, on habitait dans une forêt de pins. Une affaire d’héritage, et hop ! on avait été propulsées par la volonté du grand-père de l’appartement en ville à la cabane au fond des bois. En nous, rien des sept nains. Et voilà que Noël arrive. On se dit Ici, des arbres, il y en a plein. Pourquoi acheter un sapin ? Et l’on part, la scie à la main, couper l’arbre, celui qui a de belles branches basses, celui qui est bien touffu, et dont la cime est élevée, pointue.


On le trouve, on l’entaille. Il est vivant, vigoureux, on le massacre. Les sept nains sont loin, très loin. Pourtant, eh ho, eh ho, on le ramène à la maison, en le traînant. Il est pesant, on ne sait comment le porter sans casser les branches pour lesquelles on l’a choisi.


La porte est trop étroite, on pousse, on ploie, on engouffre, on redresse. Bref, il est trop grand, il est plus haut que le plafond, la cime se courbe et c’est minable. Eh ho, eh ho, on est harassées, dégoûtées. C’est Noël.


Notre mère était assise à table, bougonne. On l’avait chassée de la cuisine, puisque c’était Noël. On lui offrait de ne rien faire, quel beau cadeau pour une mère. Sauf, qu’en réalité, de sa cuisine, on en avait soupé. On voulait du bon, de l’original, peut-être du surprenant.

De l’inattendu, notre mère ne connaissait rien. Tous ces Noëls aux canapés et choux frisés, on n’en rêvait plus. Elle l’avait compris, et bras croisés, l’air sévère, la bouche au pli amer, elle attendait. Sans doute qu’elle se disait J’aimerais que tout rate. Tiens ça sent le brûlé. Mais nous, ses filles, on s’en fichait de sa mauvaise humeur, parce qu’en cuisine, on rigolait.


J’avais mis la table. En toute modestie, ce n’était pas joli-joli. Mais la flambée de la cheminée était belle, il faisait bon et le sapin trop grand qui penchait en avant avait un air comique.

Ma sœur aînée s’occupait de la pintade. Les petits-suisses, ça attendrit la chair, tu le savais ? Je l’ignorais, et en plus, j’étais loin d’être affamée à force de piocher dans les plats et de goûter, à sa demande, tout ce qu’elle préparait. J’ai su que je devais arrêter de picorer quand j’eus un haut le cœur après trois cuillerées de mousse au chocolat qui avaient été précédées de très près par une boule de mie de pain couverte de mayonnaise.


On avait frappé à la porte. C’était le voisin, en compagnie de son chien. Le voisin, c’était façon de dire. Il habitait d’un côté de la forêt et nous de l’autre. On se rencontrait environ trois fois l’an, quand on décidait de se balader vers chez lui. Il vivait seul, dans une cabane lui aussi. Je dis cabanes car les structures de nos maisons étaient en bois. C’était le temps où l’on rêvait d’être berger, d’être ermite. Ah la solitude en bordure de ville, à l’aune d’un supermarché !


Le voisin nous dit qu’il passait. C’était improbable mais c’était Noël, on le fit entrer. Il était bel homme, la cinquantaine, élancé, l’œil brun, le cheveu fourni et à peine rayé blanc. Habillé en chasseur, c’en était surprenant, mais bon, c’était Noël et nous aussi on s’était déguisées. Des petites robes noires. Ah les fameuses petites robes noires chics en toute circonstance ! Et des bijoux de pacotille bien brillants, aux cous, aux oreilles, aux poignets.


Il s’était assis à table, à côté de ma mère qui lui lançait de temps en temps un regard en biais, qui se voulait mauvais. Un intrus le soir de Noël, cela ne se faisait jamais. On avait eu envie de la sermonner. Et alors, si à Noël, on n’ouvre pas sa porte, on le fait quand ? Mais on savait bien que c’était inutile, elle nous aurait résisté avec verdeur, ce n’était pas le moment.


En plein dîner, on avait entendu un grand bruit. On avait posé nos fourchettes. C’est dehors, avait dit ma sœur cadette. Nos regards s’étaient interrogés. Puis un deuxième grand bruit, difficile à décrire. Le voisin avait ri. C’est le vent, les arbres qui se couchent. Mais quand ça s’était mis à siffler autour de la cabane, à claquer furieusement, le chien s’était dressé en aboyant. Faut aller voir, avait dit le voisin en s’étirant.


Maintenant, le chien hurlait devant la porte. On s’était levées mollement. On avait ouvert. Le vent frappait les arbres sauvagement. Au loin, une lueur. Le chien courut vers elle, et nous avec, bêtement. C’est que le voisin avait crié Le feu! Le feu! bien qu’en restant assis.


On n’a pas réfléchi. On ne s’est pas même dit Contre le vent, on n’y peut rien. Surtout, on ne s’est pas questionnées Le feu, un 24 décembre, dans la forêt ? Le chien traçait et nous derrière. La lueur semblait voltiger. On était vraiment loin, toujours sur le chemin qui serpentait entre les pins. On a fini par arriver chez d’autres voisins. Ils faisaient une belle fête, lampions balancés dans les airs par le vent. Ils nous ont invitées. Alors on est restées chez eux avec le chien.


Quand on est rentrées, le jour se levait. Notre mère avait un air guilleret et n’a même rien demandé. Et quand on l’a interrogée Le voisin ne s’est tout de même pas incrusté ? Elle a répondu en n’osant pas nous regarder Il est parti tout de suite après vous. Il était sur vos talons, non ?

Comme elle n’avait plus, mais plus du tout l’air bougon, on a lâché, hébétées, toutes les trois en même temps Ça alors, c’est vraiment Noël !

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