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Le plus beau sapin de Noël


Sud de la France,

le 24 décembre dans un futur proche.

Maddie trouvait que son sapin avait vraiment fière allure. Il avait une si jolie forme, pointue comme un chapeau de clown. Ses branches, petites au sommet, s'allongeaient majestueusement vers le bas, les extrémités légèrement relevées pour faciliter l'accrochage des ornements de Noël. Sa ramure se hérissait de milliers d'épines aussi vertes que la forêt. En fermant les yeux, Maddie imaginait sentir la bonne odeur de la résine. Celle qui évoque dans nos cœurs d'enfant la magie du vingt-cinq décembre. Son sapin était le plus beau du monde, campé sur un tronc puissant entouré de mousse et de lichen.

De grosses boules rouges se balançaient au hasard des branches ; Maddie savait que si elle avait pu s'approcher assez près, elle aurait vu son petit nez s'y refléter. Les boules étaient ce qu'elle préférait dans la décoration, tellement parfaites et si fragiles. Un choc et elles se brisaient en d'innombrables morceaux de verre, leur beauté n'admettait pas la moindre contrariété. Il fallait les manipuler avec d'infinies précautions, ne pas les serrer trop fort entre ses doigts mais suffisamment, tout de même, afin de ne pas les laisser tomber et exploser sur le sol dans un claquement sinistre.

Son bel arbre était paré de longues guirlandes de couleur bleue. Elles se lovaient mollement autour des branches comme un boa sans tête, un boa bleu, hi, hi, hi. Rien qu'à les voir, Maddie frissonnait, chatouillée par les fins filaments souples sur la peau tendre de son cou. Et puis, il y avait également une guirlande lumineuse dont on n'apercevait que les petits points rouges et bleus disséminés entre les épines. Elle aurait tant aimé les voir clignoter dans la nuit, et illuminer les paquets cadeaux d'éclats féeriques.

Un sapin de Noël n'aurait pas été digne de porter ce nom si, à son sommet, sur la branche qui se dressait toute droite vers le ciel, on n'y avait pas accroché soit l'ange protecteur aux ailes diaphanes, soit l'étoile filante, guide des Rois mages. Maddie avait opté pour elle et sa longue traîne, d'un jaune d'or étincelant.

Oh oui, c'était vraiment le plus beau sapin de Noël du monde !

L'enfant, de ses doigts menus, écarta les boucles blondes rebelles de son front. Elle repoussa ses quatre crayons de couleur, un vert, un rouge, un bleu et un jaune, ils étaient toute sa richesse. Elle s'empara de la feuille et sauta de sa chaise, excitée et fière de son dessin :

Maman regarde !

Myriam leva les yeux de son tricot.

Nous allons bientôt dîner Maddie, tu devrais aller te laver les mains et mettre la table.

Le matin elle avait plumé une poule qui n'avait plus d'âge, l'avant dernière. Le père Jean, de la ferme voisine, était venu lui tordre le cou car elle en était incapable. La volaille avait cuit au coin du feu tout l'après-midi, dans le bouillon avec quelques légumes, il fallait bien cela pour ramollir ses chairs.

Maman, regarde, s'il te plaît !

Maddie aux pieds de sa mère insistait, elle tendait désespérément son chef-d’œuvre.

Veux-tu bien attendre que je finisse mon rang ?

La petite faisait la lippe.

Bon, allez montre moi.

Sa mère posa le tricot sur ses genoux et saisit le dessin.

Un sap... oh non... Une lueur de panique traversa son regard. Oui, oui, il est magnifique ma chérie, mais il ne doit pas sortir d'ici, tu m'entends ? Personne ne doit le voir ! Pose-le sur le buffet, on verra plus tard ce qu'on en fait. Et va mettre la table.

Mais maman... tenta de se révolter Maddie.

Fait ce que je te dis ! Elle avait haussé le ton.

Myriam savait qu'elle ne pourrait pas éviter plus longtemps une explication.

Tu veux une cuisse ou un blanc ? demanda Myriam en pointant, avec son couteau et sa fourchette, la poule bouillie et fumante, tout juste sortie de la marmite.

Un blanc s'il te plaît maman, la cuisse me fait trop penser à elle, on était obligé de la manger ?

La mère ne répondit pas, ignorant les pleurnicheries de sa fille. La vie était déjà assez compliquée comme cela pour ne pas sombrer dans la sensiblerie, même si elle pouvait comprendre une telle attitude venant d'une enfant.

Elle servit donc, dans les assiettes blanches ébréchées, la viande accompagnée de carottes et de navets, en silence, le visage grave. Maddie n'osait pas piper mot.

Ce modeste repas sur la table de la cuisine, dans la vaisselle de tous les jours, arrosé d'eau du robinet, sans décorations et sans invités joyeux ne ressemblait en rien à un réveillon de Noël, autant dire que c'était un jour comme les autres. Elles avaient de quoi manger, c'était déjà bien.

La petite fille leva les yeux vers son sapin de papier trônant sur le buffet. Elle reposa ses couverts, elle n'avait presque rien avalé, sa gorge était nouée. Quelque chose ne tournait pas rond, on ne lui avait même pas demandé sa liste de cadeaux à envoyer au Père Noël.

Maman ? Pourquoi on ne fête pas Noël ? Pourquoi on ne fait pas de sapin, comme l'année dernière ? Et le Père Noël, il va quand même passer ? Et le Petit Jésus, il n'a pas de crèche non plus ?

Pêle-mêle, elle avait libéré son cœur de tout ce qui l'attristait.

On y est ! Pensa Myriam. Mais comment exposer à une enfant la folie des adultes ? Quels mots trouver pour expliquer à sa fille ce qu'elle même peinait à comprendre.

Alors elle demanda à Maddie de venir sur ses genoux, tout contre elle, et commença d'une voix très douce.

Ma chérie, les temps ont bien changés depuis l'an dernier. Toutes les fêtes religieuses sont maintenant interdites.

Toutes maman, même Noël ?

Oui, quelque soit la religion... personne ne doit plus savoir en quoi nous croyons et surtout il est interdit le montrer.

Comment une gamine innocente pouvait-elle comprendre cela ? Elle continua malgré tout, sa fille toujours blotti entre ses seins.

C'est la raison pour laquelle tu ne vois plus de croix nul part, que tous les lieux de culte ont été fermés...

C'est quoi, les lieux de culte, maman ?

Là où les gens allaient prier, les églises, les synagogues, les mosquées, les temples...

Tout ça ?

Oui ma chérie... Les vacances ont changé de nom, les jours fériés religieux supprimés. Les saints ont été bannis du calendrier, enfin tout ce qui pouvait évoquer une quelconque croyance a été prohibé, interdit si tu préfères.

Tout cela dépassait Maddie mais elle fit un rapprochement avec des événements récents.

Maman ? C'est pour ça que les gens se sont battus dans la rue et que je suis restée longtemps sans aller à l'école ?

Tu es encore petite pour comprendre Maddie, mais oui, ils protestaient contre une nouvelle police : la ''Brigade de Contrôle de la Laïcité''.

C'est quoi ?

Je t'expliquerai quand tu seras plus grande ?

Mais maman, alors ça veut dire que le Petit Jésus et le Bon Dieu ils existent plus? Le Père Noël non plus ? demanda Maddie en retenant ses larmes.

Que te dit ton cœur ma chérie ? répondit sa mère en plongeant tendrement son regard dans le sien.

Si, ils existent, ils existent... et papa, et papy, et mamie sont avec eux pour toujours, pour toujours... Et le Père Noël aussi, je le sais, il va venir.

Parce qu’un enfant peut passer de la peine à la joie, elle bondit chercher son dessin et le brandit au dessus de sa tête.

Eh bien, nous on a notre sapin de Noël.

On frappa à la porte.

J'y vais maman !

Non Maddie, reste là. Cache ton dessin, vite !

Myriam s'inquiétait d'une visite si tardive. Elle avait entendu dire que des agents, parfois en civil, de la BCL se rendaient chez les particuliers afin de contrôler l'application des nouvelles lois en vigueur.

Il y eu de nouveaux toc, toc sur le bois, légers. Elle se décida à ouvrir, sa fille cachée derrière sa jambe.

La porte, une fois ouverte, fit place à une grande femme, d'allure jeune, toute de blanc vêtue. Une longue robe au tombé lourd cachait ses chaussures. La parka matelassée qui enveloppait ses épaules et soulignait sa poitrine, était bordée à la taille, au col et aux poignets de fourrure duveteuse. Ses cheveux courts, lisses, noirs avaient des reflets bleutés. La lune auréolait sa tête d'un halo vaporeux. Ses yeux acier perçaient la nuit avec l'intensité des étoiles dans le ciel froid d'hiver.

Bonsoir... madame.

Bonsoir, pardonnez-moi si je vous dérange, mon véhicule est en panne de batterie, auriez-vous une borne de chargement et me permettriez-vous de l'utiliser ?

Euh... oui bien sûr.

Myriam était troublée, il lui semblait qu'il était impossible de refuser quoi que ce fut à cette étrangère. Je ne m'en sers jamais, j'espère qu'elle est toujours opérationnelle. Ne bougez pas, je vais chercher la clé.

Merci infiniment, vous me sauvez.

Pendant l'absence de sa mère, Maddie, émerveillée par la beauté et la singularité de l'apparition, ne cessa de lui sourire tout en se dandinant, se triturant les doigts derrière son dos. Le contact bienveillant de la main sur ses boucles blondes emplit l'enfant d'une chaleur douce, apaisante, inconnue.

Tenez, vous trouverez le boîtier encastré dans le mur.

Encore merci, madame.

Venez vous réchauffer à l'intérieur quand vous l'aurez branché.

La silhouette blanche s'éloigna.

Maman, elle est tellement belle...

Calme-toi Maddie, nous ne savons rien d'elle. Myriam redoutait les agents dont on lui avait parlé.


Elle s'était assise dans l'un des fauteuils du salon. Maddie, sur le tapis à ses pieds, était surprise de voir que bien qu'étant dans la maison, porte fermée, le halo blanc continuait d'auréoler sa tête. Myriam, restée debout, proposa Voulez-vous une boisson chaude ? J'ai un excellent thé vert parfumé à la cannelle.

Oui avec plaisir, ce sera parfait.

Maddie suivit sa mère dans la cuisine.

Maman tu as vu au dessus de sa tête ?

Quoi ? Il n'y a rien du tout... Allez, retourne avec elle.

Myriam revint après quelques instants avec un plateau qu'elle posa sur la table basse, elle servit deux tasses et se laissa aller dans le canapé.

Maddie ne pouvait pas détacher son regard de l'inconnue. Sa mère ne remarquait donc pas le halo qui flottait sur les cheveux aux reflets bleutés. N'y tenant plus elle demanda Est-ce-que tu es un ange ?

Maddie ! N'embête pas la dame ! Et puis on ne tutoie pas comme ça ! Excusez là...

Laissez, ce n'est pas grave... Je m'appelle Gabrielle et toi tu es Maddie ? s'adressant à l'enfant.

En vrai mon prénom est Madeleine et ma maman elle s'appelle Myriam.

Encore merci pour votre hospitalité Myriam, les gens sont si méfiants de nos jours.

Avec plaisir Gabrielle, vous êtes la bienvenue, cela nous fait un peu de compagnie. Même si la mère ne voyait dans la visiteuse rien de particulier, elle était, comme sa fille, sous le charme, oubliant ses réticences du début.

Vous vivez seules ? Si c'est indiscret vous n'êtes pas obligée de me répondre.

Oui, depuis la mort de mon mari. Une ombre de tristesse passa sur son visage.

Je suis désolée.

Maddie suivait la conversation, son regard passait de l'une à l'autre. Fascinée par le halo qui entourait Gabrielle et qu'elle seule pouvait voir.

Il a été tué, il y a quatre ans, près de la frontière italienne pendant le Conflit des Migrants. Il était chef de poste... une grenade... Et tout ça pourquoi ?

Je sais, j'étais infirmière sur le front...

La petite ne comprenait rien. Gabrielle se pencha et caressa à nouveau ses cheveux blonds, avec tendresse. Elle se leva et disparut brusquement. Les deux femmes continuèrent leur conversation.


Maddie se planta devant Gabrielle et lui tendit son dessin. Une petite voix dans sa tête lui avait dit qu'elle pouvait, qu'elle devait le faire.

Regarde comme il est beau mon sapin de Noël !

Maddie ! hurla sa mère.

Rassurez-vous Myriam, je ne suis pas de la BCL. Votre enfant est comme beaucoup d'autres et je la comprends... je comprends votre réaction également. Vous n'avez rien à craindre de moi et Maddie, avec sa pureté et son innocence, l'a ressenti. Je peux vous annoncer la fin prochaine de cette période d’obscurantisme et le retour de la célébration des croyances. Soyez patiente.

Myriam effondrée ne savait plus quoi penser.

Mais maman, tu ne vois pas que c'est un ange !

Gabrielle regarda Maddie et posa son index sur ses lèvres.

Chut.

J'aimerai que vous partiez.

Les craintes assaillaient à nouveau Myriam, repliée sur elle-même au fond de son fauteuil.

Oui je crois que l'heure est venue, les batteries doivent être rechargées maintenant. Je vous remercie pour tout et gardez l'espoir.

Merci à vous... Maddie raccompagne Gabrielle, veux-tu ?

Sur le seuil de la porte elle s'agenouilla et serra l'enfant entre ses bras. Elle glissa à son oreille Écoute-moi, avant d'aller te coucher ferme bien tous les volets, les rideaux et pose ton dessin là où tu aimerais le voir. Endors-toi en pensant à moi, je ne serrai pas loin.


Maddie se réveilla très tôt. Quand elle ouvrit les yeux des lumières rouges et bleus clignotaient dans sa chambre. Sur une chaise, il était là au pied de son lit, le plus beau sapin de Noël du monde.

Peu de temps après, sa mère pénétra dans la pièce.

Mais il sort d'où ce sapin ?

Maman, maman... c'est Gabrielle !

Myriam ne comprenait pas.

Gabrielle ? Mais qui est Gabrielle ?
















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