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Mondanité affamée !


L’invitation avait été déposée sur mon bureau en début d’après-midi. Papier blanc, glacé à fort grammage, imprimé en lettres dorées aux enluminures raffinées. Je m’en saisis, le mouvement léger de mes mains révéla en hologramme les initiales du prestigieux couturier CD.

La maison de haute couture Christian Dior a l’honneur de convier Mademoiselle Denise Valadon à la présentation de la nouvelle collection d’hiver, Le….à partir de ………dans les salons du Pavillon de l’Elysée. Le défilé sera suivi d’un apéritif dînatoire.

Mes faibles moyens financiers ne me permettaient pas d’hésiter sur l ‘opportunité de telle ou telle tenue. Tailleur de lin grège agrémenté d’un chemisier blanc. Que du très classique en somme. Pour m’y rendre, je renonçais à mon moyen de transport préféré, le vélo, privilégiant le bus, plus approprié au port de ma jupe courte et de mes talons. A 50 mètres du portail d’entrée un impressionnant cordon de police, en tenue d’apparat longeait les abords de l’avenue. Casquettes, galons et boutons dorés miroitaient au soleil. Apercevant les Rolls Royce avec chauffeurs, stationnées dans la cour, je compris que je pénétrais dans un monde de privilèges tout autant que de convoitise. Un liftier s’avança prestement vers moi. Je surpris dans son regard l’étonnement que ne soit pas confiée à ses bons soins quelque étole de fourrure agrémentée d’un alléchant pourboire. Après une rapide et polie vérification de l’authenticité de mon invitation, je fus conduite auprès d’un majordome. Je suivis, très intimidée, cet homme extrêmement courtois, tout en queue de pie et gants blancs. Il annonça d’une voix puissante mon nom au moment où je pénétrais dans les salons. Fort heureusement le brouhaha des congratulations d’usage me fit passer inaperçue ou presque. A peine quelques regards indifférents qui appréhendèrent immédiatement l’insignifiance de mon patronyme en même temps que la simplicité de ma tenue. Déjà écœurée par les odeurs prégnantes, je m’éloignais rapidement de la rivalité des fragrances entêtantes de parfums capiteux, que la gente féminine portait avec fierté, signifiant ainsi leur appartenance à la richesse. Je fus accompagnée au carré des journalistes, plus modestement décoré. Je connaissais ma chance d’être là, cette occasion ne pouvant qu’être exceptionnelle. Mon statut de publicitaire au sein d’un quotidien, authentifié « de gauche », ne justifiait pas ma présence en ces lieux, parmi ces gens que nous appelions respectueusement « les grands de ce monde ». A l’origine de mon invitation, sans doute, une méprise, une erreur d’étiquetage.

Je me sentis épiée. Je tournais alors mon visage vers une jeune fille, assise à mes côtés. Elle semblait guetter mon sourire, comme une autorisation en quelque sorte de sa présence au milieu du déploiement de la richesse. Tout comme moi, elle semblait peu habituée aux us et coutumes, aux codes qui régissaient ce monde du luxe et de l’argent. Elle tortillait ses mains sur une jupe à motifs un peu passés qu’elle tirait en vain pour couvrir ses genoux. Elle me chuchota à l’oreille son prénom que je n’entendis pas. Je hochais la tête mais ne lui confiais pas le mien en retour, trop de bruit couvrait nos voix. Elle avait un petit air malicieux qui donnait beaucoup de charme à son visage. De ses yeux rieurs, elle scrutait avec avidité notre entourage, me signalant d’un discret coup de coude toute originalité vestimentaire. Beaucoup d‘extravagance aussi dans ces toilettes sophistiquées.

Soudain la lumière se tamisa et instantanément l’assistance jusqu’alors bruyante, plongea dans un silence quasi religieux. La grand-messe pouvait commencer. Les spots éclairèrent l’estrade, auréolant les mannequins de lueurs changeantes mettant en valeur leur tenue. Des jeunes femmes, longilignes, à la silhouette dépourvue des atours féminins, défilèrent devant nous. Je m’amusais de leur démarche chaloupée, apanage d’un long apprentissage parfaitement maîtrisé, les obligeant à croiser chaque pas l’un devant l’autre. Un dernier modèle apparut. Ma voisine éclata de rire. Le mannequin portait un chapeau simulant une cage fleurie où virevoltaient des oiseaux au plumage coloré, assorti à un juste au corps confectionné en plumes. L’estrade redevint déserte, les lumières vives se rallumèrent. Un nouveau coup de coude, alors que nous quittions nos places, m’enjoignit de me tourner vers un attroupement qui venait de se former. Peut-être une personne avait été saisie de malaise ? Nous nous approchâmes, car nous ne comprenions pas ce qui se passait. Les invités continuaient à se presser, à se bousculer, ne laissant aucune chance à une personne qui aurait été malade de reprendre son souffle. Propulsées, nous arrivâmes un peu brutalement devant un buffet où s’étalaient généreusement petits fours, pâtisseries, friandises. Une dame rouge de colère, n’ayant réussi qu’à obtenir un verre de champagne le jeta au visage d’une comparse qui, beaucoup plus habile, repartait avec une assiette, remplie de tous les mets disponibles. Elle poussa un cri, et de sa bouche déjà pleine s’échappa un petit pain garni. Nous nous regardâmes, interloquées de tant de muflerie.

Ma voisine se pencha vers moi et me soumit d’une voix forte sa proposition : Je n’habite pas très loin, j’ai fait rôtir un poulet bio, je t’invite et je t’assure que nous allons nous régaler dignement.

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