top of page
  • Photo du rédacteurCMT

Woolf, Juliet

Dernière mise à jour : 25 mars 2020

Aujourd'hui, 10 septembre 1974, j'ai commencé ma première journée de cours en BTS. Un peu déroutant, cette toute nouvelle école, ces visages inconnus, ce manque de repères dans la grande, très grande ville qu’est Paris. J’ai fait très rapidement la connaissance de Christine, une nouvelle élève de ma classe. Nous étions installés depuis une heure, lorsqu’elle est rentrée dans la salle après avoir frappé à la porte d’un petit coup sec, mais sans attendre la réponse du professeur. Je m’étais placée, au fond de la salle, seule à une table. Elle est venue s’asseoir à côté de moi sans se demander si j’avais envie ou pas de sa présence alors qu’il y avait beaucoup d’autres places libres. Cela semblait tout à fait naturel pour elle. Elle ne s’est pas excusée de son retard et sans se préoccuper de mon désir d’écouter les consignes, elle m’a chuchoté à l’oreille qu’elle avait loupé son train et, en riant, que cela n’avait certainement pas d’importance, je n’aurais qu’à lui passer mes notes. En sortant de la salle, elle m’a pris par le bras, toujours avec une assurance étonnante et m’a dit que ce serait bien que l’on aille tous prendre un pot au café du coin pour se connaitre les uns les autres.. Évidemment absente lorsque chacun des étudiants s’était présenté elle avait envie d’en savoir plus sur nous. Tout sourire, et toujours sans me demander ce que j’en pensais, elle m’a entraînée et nous sommes allées à la rencontre des autres élèves. Comme j’étais hésitante, elle m’a tirée par le bras et ainsi nous nous sommes retrouvés dans le bar qui jouxtait le lycée. Très embarrassée, je lui ai avoué que je n’avais pas d’argent sur moi. Pour elle, pas de problème- je pourrais la rembourser plus tard - m’a-t-elle aussitôt répondu. Vraiment très à l’aise cette fille ! En catimini, je l’ai un peu observée. Blonde décolorée ça c’est sure, car ses sourcils sont brun foncé, un peu forte mais bien proportionnée, en tous les cas consciente de ses formes bien affirmées car elle jette régulièrement des coups d’œil vers les mâles auxquels elle pense faire de l’effet. Elle a raison, car ces ballots de mecs se sont tous précipités pour s’asseoir près d’elle. Sa tenue faussement décontractée avec un jean moulant et une large chemise entrouverte sur la naissance de ses seins attirent forcément les regards. Elle m’a mise mal à l’aise alors qu’elle s’est montrée plutôt sympa avec moi.


Comment peut-elle avoir autant d’assurance face à des inconnus ?


2)Aujourd’hui, 15 octobre 1974, Christine m’a suggéré de venir habiter avec elle dans le studio qu’elle loue du côté de la Place Clichy. J’ai vraiment été très surprise de sa proposition spontanée et même déstabilisée, comme souvent avec elle. Peut-être avais –je eu tort de lui confier qu’à 18 ans passés, j’étais toujours hébergée par ma famille. Je m’attendais à ce qu’elle comprenne mon embarras sans plus, peut-être qu’elle me plaigne un peu mais surement pas qu’elle prenne en charge mon désarroi. Franchement, nous nous connaissons très peu , j’ai cru qu’elle se moquait de moi en me faisant sentir que je n’étais pas très dégourdie. Je vois bien à ces petits sourires qu’elle me prend pour la provinciale mal aguerrie, impressionnée par la vie à la capitale. C’est un peu vrai mais j’étais vexée, je lui ai répondu agressivement que je pouvais me débrouiller toute seule. Hors sujet évidemment ! Elle m’a jeté un regard étonné et m’a dit qu’elle ne comprenait pas ma réaction. Tout s’est embrouillé dans ma tête, je ne savais plus comment expliquer ce que je ressentais. Cette fille me renvoie au visage mon manque de confiance en moi mais aussi dans les autres. Comment lui expliquer que son assurance me perturbe me met face à ma prudence, mes craintes, mes peurs, ma timidité. Comment gérer cela ?


Est-ce son éducation familiale qui a pétri ainsi son esprit, qui la façonné ?


3)Aujourd’hui 30 juin 1974, Christine m’a annoncé qu’elle avait proposé à un jeune homme rencontré dans le train de venir habiter dans notre studio, le temps des vacances scolaires. J’ai senti immédiatement monter la colère et je lui ai demandé comment elle avait pu faire une chose pareille sans m’en parler avant ? Pouvait-elle me négliger à ce point ? D’après elle cette sous-location nous permettrait de rembourser largement, largement ? pourquoi largement ? le loyer dû, durant nos deux mois d’absence. Argument recevable, mais qu’en était –il de mon consentement ? Je me suis sentie terriblement négligée. Ne me respecte-t-elle pas ?. Pour tenter d’échapper à mes pensées rageuses, je l’ai interrogée sur ce fameux locataire remplaçant. Qui était-il ? Juste une rencontre, m’a-t-elle affirmé. Au retour du week-end passé chez ses parents, ils étaient assis dans le compartiment l’un à côté de l’autre et ils avaient parlé ensemble tout le trajet. Lui recherchait un logement provisoire à Paris. Un parfait inconnu en quelque sorte ! Il lui a semblé très sympathique. Il n’en fallait pas plus pour qu’elle lui propose de s’installer chez nous, parmi nos affaires. Ce n’était pour moi tout simplement pas possible.

De nouveau j’ai buté sur son air narquois, comme à chaque fois que je lui ai fait part de ma méfiance vis-à-vis de situations ou d’individus étrangers. Ce qui m’apparaissait naturel - révélait- me disait-elle - une éducation typiquement provinciale- Malaise au creux de mon estomac, mettant en lumière un défaut de jeunesse dont je n’étais pas arrivé à me débarrasser. Certes à l’annonce de mon départ pour Paris, les conseils de prudence de mes parents avaient été nombreux mais ils m’avaient semblé jusqu’alors tout à fait légitimes.


Pourquoi jugeait-elle que la province plus encore que la capitale fabriquait des peureux ?


4)Aujourd’hui, 15 juin 1976, Maman m’a téléphoné et oh surprise ! M’a parlé de Christine, venue rendre visite à mes parents - en passant, comme çà- a-t-elle dit. En passant ? à 150 kilomètres de Paris ! Je n’ai pas été dupe, je commence à la connaitre, depuis deux ans que nous partageons le même appartement. Toutefois je ne suis pas arrivée à deviner la raison, la vraie de son passage, soit disant inopiné. J’ai attendu, curieuse, presque amusée d’apprendre la vérité. Après un long moment, ce que m’a révélé Maman m’a laissée sans voix. Sans oublier de déployer son plus charmant sourire - je l’ai imaginé aisément- elle a annoncé, innocemment bien sûr, que j’avais un petit ami depuis plusieurs mois. Je n’en avais rien dit à Maman pour éviter les questions indiscrètes, les sempiternelles recommandations et conseils. Au contact de Christine dont j’avoue avoir admiré l’assurance, je me suis exercée à lui ressembler, m’efforçant d’éprouver plus de confiance en moi mais aussi vis-à-vis des autres. Les révélations de Maman, qui, n’y a vu aucun mal, m’ont donné la sensation d’un vide immense. Non seulement je me suis sentie trahie mais plus encore déstabilisée, déséquilibrée dans la reconstruction laborieuse de l’évolution souhaitée de ma personnalité. A aucun moment je n’ai pensé qu’elle se vengerait d’une dispute que nous avions eue quelques semaines auparavant. Il est vrai que je lui avais lancé au visage quelques reproches. Gentillesse intéressée, égoïsme, mensonges. Tellement contente d’avoir réussi à passer outre mes peurs de la contrarier, je n’ai pas hésité à exprimer ce que je pensais d’elle. Quelques brins de confiance gagnée, la victoire était proche ! Mais comment dire cela à Maman, j’ai préféré mentir en lui proposant de la rappeler plus tard, prétextant une visite .


Tout admirateur ne vit-il pas au dépens de celui qui brille de tous ses feux ?


Denise

23 vues1 commentaire

Posts récents

Voir tout

Atlan Quignard

Deuxième ouverture : l'émotion choisie : la joie Sylviane est d'une compagnie très agréable, car elle à tendance à positiver les événements, les circonstances de la vie. Elle voit toujours le bon côté

ATLAN QUIGNARD

LA COUPE Une vieille maison de pierre à flanc de coteau cachée dans une sapinière, elle apparait au détour du chemin .Une unique porte en bois s’ouvre sur la façade .De vagues traces de peinture bleu

PEREC 1ère ouverture enrichie

· La porte-fenêtre s’éclaire d’une lumière tamisée, halogénée. Une jeune fille s’y coule, ondulant au rythme d’une musique-oreillettes, portable en mains. Brune, cheveux descendant jusqu’aux reins, je

bottom of page