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Woolf, Juliet

Dernière mise à jour : 25 mars 2020

Aujourd'hui 30 juillet 1954, la super nouvelle du jour : j'ai enfin fait la connaissance d’Elena avec laquelle j'ai déjà échangé plusieurs courriers. J'étais très émue pour cette première rencontre. A sa descente du train, sa longue robe jaune tournoyante semblable à une corolle de fleur fut comme un rayon de soleil qui soudain a illuminé la grisaille de la gare ...une vraie citadine c'est à dire tout mon contraire. Hello ! Ma première pensée a été « je ne vais pas être à la hauteur » mais elle vive et spontanée m'a embrassée et m'a dit dans un français parfait « Enfin, nous voilà toutes deux face à face et tu es telle que je l'imaginais, je n'ai qu'une envie, c'est que nous devenions comme deux sœurs » et là mon moral est remonté en flèche.


Aujourd'hui 23 juillet 1957

Cette journée mémorable vient de se terminer. Tous les invités sont partis et je suis fatiguée mais je veux garder en souvenir cette joie intense que j'ai ressentie d'avoir eu autour de moi et pour moi seule, en même temps, André et sa famille, la mienne, et mon amie Eléna.

Quand je lui ai écrit que le jour de mes vingt ans serait aussi le jour de mes fiançailles, elle m'a répondu par retour de courrier « Je tiens absolument à être auprès de toi ce jour-là ». Quelle fleur bleue cette anglaise !

Elle a été partout en même temps, a aidé mes parents, ayant un mot aimable ou comique pour chacun, elle a chanté 'Blue moon' et a croulé sous les applaudissements, et pendant qu'elle faisait son reportage photo m'a murmuré à l'oreille « Vous faites un couple très amoureux ...et quand vous aurez des enfants, n'oublie pas de me les envoyer en vacances, ils pratiqueront l'anglais au quotidien ...et ils le parleront mieux que toi ! »

A présent mes yeux se ferment en ayant un dernier regard pour ma bague, cette merveille que nous avons choisie tous les deux et qui sera désormais le témoin de cette inoubliable journée.


Aujourd'hui 22 Octobre 1962

Un courrier d'Eléna venant de Bagdad est arrivé ce matin, et avec lui une moisson de surprises.

Je me souviens qu'elle était partie de Londres, lassée des discussions avec sa mère au sujet de sa fréquentation d’un certain Léon. Elle avait fait une demande de coopération pour aller enseigner en Iraq qui avait été acceptée pour un an, et je n'avais plus de nouvelles.

Et sur sa lettre j'apprends qu'elle est en pleine lune de miel, mariée avec John...et des projets plein la tête. Il est ingénieur hydraulique et travaille comme consultant pour l'irrigation. Mais actuellement ils sont en voyage de noces, retour vers Londres où me dit-elle ils vont acheter une grande maison …

Tout ceci est écrit avec un enthousiasme débordant. Elle est, semble-t-il, extrêmement heureuse et il me tarde d'avoir sa nouvelle adresse pour la féliciter et lui dire que je suis contente pour elle.

Ainsi sa bonne étoile l'a conduite vers John !

Mon grand regret sera, pour toujours, de n'avoir pu être présente à son mariage, comme elle l'a été au mien il y a trois ans... Ce jour-là elle m'avait dit « Prochain rendez-vous à Londres pour le mien et je compte sur vous deux ».


Aujourd'hui 11 novembre 2001

Je suis sous le choc des images inhumaines que la télévision nous a présenté, et je vois encore, en écrivant ces confidences, ces personnes se jetant des fenêtres de la tour du World Trade Center de New York.

Le malheur c'est qu'à ce moment-là, j'ai pensé à Eléna, à sa famille.

Je sais bien que les Etats-Unis sont grands mais je sais aussi que depuis quelques années, ils sont allés vivre là-bas pour les fonctions de John. Qu'avec beaucoup de chance ils n'étaient pas dans cet immeuble défoncé par un attentat violent mais je ne puis m'empêcher d'associer mes pensées à Eléna, ressentant l'angoisse qui a dû étreindre ces personnes qui n'ont eu d'autre recours que de se jeter dans le vide.

Ainsi notre belle relation de presque cinquante ans s'achèverait dans ce désastre ?

Tout ce que nous avons vécu ensemble dans notre jeunesse me revient en mémoire: nos ballades en vélo dans cette Provence qu'elle aimait follement, nos fous-rires pour des riens qui nous rendaient complices, et me revient comme un flash cette fameuse robe jaune qui dort à présent dans mes placards.

Lors de son premier séjour chez moi, je m'étais laissée aller à lui dire qu'une telle robe avec sa coupe près du corps mais pas serrée du tout, sa couleur tendre jaune poussin, son tissu souple et léger, son décolleté plongeant se terminant par un grand col carré dans le dos, tout indiquait un couturier de classe « Je suis juste un peu plus grande que toi, me dit-elle, mais essaie-la » et me voilà à mon tour transformée en petite citadine...« Garde-la, elle te va si bien ».

Mes parents l'avaient adoptée et la recevaient chaque fois avec plaisir.

Comme elle me l'avait proposé, nos filles sont allées passer des vacances chez elle, chacune à tour de rôle, et nous avons eu le plaisir de recevoir tout un été leur fille aînée Nancy et Ben son frère. Les photos témoignent de leurs jeux (déguisements divers) mais nous n'avions pas encore de magnétophone pour enregistrer leur accent si chantant et leurs expressions amusantes. Regrets! J'ai gardé toutes les photos, toutes les lettres...

Mais au fil des ans nos courriers se sont espacés. Pourquoi ? Et actuellement plus de nouvelles.

Sa dernière lettre nous informait de son travail de professeur de langues étrangères, des déplacements de John maintenant ingénieur indépendant souvent en voyage en Inde ou au Pakistan, et des études des enfants : Nancy terminant son droit au Canada, Ben attiré par les cultures orientales, Max pas encore fixé sur son orientation, et Roy le petit dernier, bon en dessin peut-être futur architecte...

Bien que cette lettre date de plusieurs années, c'est ainsi que je me les représente actuellement !


Simone Fabre

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