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  • Photo du rédacteurCMT

Pérec, Sarraute, Ernaux

Dernière mise à jour : 25 mars 2020

1

Il s’apprête à traverser la rue, il regarde à droite, à gauche, plusieurs fois, les yeux exorbités, il hésite puis s’élance en courant de peur qu’une voiture le heurte. Les pans de son pardessus gris se déploient comme des ailes et l’homme-oiseau s’engage sur la chaussée. Il est tellement absorbé par la circulation qu’il ignore complètement une dame âgée qui revient certainement du marché et il renverse son cabas. Il se confond en excuses et tente de ramasser maladroitement trois oranges qui roulent sur le bitume. Deux automobilistes freinent brutalement. Celui qui conduit une fourgonnette blanche, certainement un coursier pressé de livrer ses clients, baisse la vitre de son véhicule et insulte copieusement le pardessus gris avant de redémarrer en trombe. La dame au cabas n’en revient pas, elle se demande sans doute comment on peut se comporter aussi grossièrement dans ce genre de situation. Deux adolescents dégingandés, jeans déchirés, baskets dernier cri, percés et tatoués généreusement, passent sans un regard à côté du pardessus gris et de la dame au cabas, penchés sur la chaussée. Ils font négligemment un bras d’honneur en direction de la fourgonnette blanche et s’éloignent en gesticulant. Avant de tourner au coin de la rue, ils se retournent ostensiblement sur une mini-jupe assortie à des « Louboutin ».

2

La dame âgée a dû regagner son petit appartement situé à deux pas du marché. Quand elle a pris sa retraite, elle a certainement choisi ce quartier parce qu’on y trouve toutes les commodités. Tous les commerces sont là, c’est bien pratique. Puis, l’immeuble dispose d’un ascenseur, c’est important quand on prend de l’âge. Elle va ranger soigneusement ses courses, chaque chose à sa place, elle a toujours eu de l’ordre et de la méthode, avant d’aller s’assoir dans l’unique fauteuil de son salon salle à manger. C’est bien suffisant maintenant, une seule pièce à vivre équipée d’un coin cuisine et une chambre attenante. Pour rejoindre son fauteuil, elle passe devant le buffet, elle s’arrête un moment, comme elle le fait toujours. C’est devenu une vieille habitude, un rituel. Elle regarde les photos disposées dans les deux sous-verre. Une photo de ses deux fils et ses trois filles et une autre de ses dix petits enfants. Ils sont grands maintenant et elle les voit peu. Ils travaillent tous et sont très occupés et puis, ils habitent loin. Ensuite, elle ouvre le tiroir du buffet, celui du milieu. Elle prend une boite en carton dans laquelle elle a rangé des photos depuis des années et elle va s’installer bien confortablement dans son unique fauteuil de son unique pièce à vivre. Alors, elle regarde longuement, minutieusement, les photos de tous ses autres enfants, et ils sont nombreux, tous ceux qu’elle a eus en classe, quand elle enseignait dans la petite école communale de ce village du Vercors où elle laissé tant de souvenirs.

3

L’institutrice à la retraite sort de son immeuble. Elle serre contre elle une grande enveloppe en papier kraft. Une femme, plus jeune, la tient par le bras, peut-être sa fille qui est venue l’accompagner pour aller chez son médecin à qui elle doit présenter les images inquiétantes d’une radio. Le visage de la vieille dame est grave, elle paraît soucieuse. Sa fille se penche sur elle pour lui dire quelques mots en esquissant un sourire forcé. Elle semble tenter de la rassurer, la réconforter, lui dire que tout va bien se passer.

Au-delà des mots qui s’esquissent sur les lèvres, de ces bribes de paroles que l’on ne peut saisir mais seulement imaginer, c’est l’inquiétude que l’on perçoit dans l’expression des regards, la tension des visages, la raideur des mouvements, des gestes, des attitudes.

Ce ne sont peut-être pas les images d’une radio qui sont contenues dans l’enveloppe en papier kraft. Pourquoi pas un acte notarié, le projet d’une donation compliquée ? Et l’on comprend l’inquiétude de la vieille dame qui pense à l’avenir de ses enfants et certainement au sien.

André

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