Lundi 15 janvier 2016, je l'ai encore aperçue ce matin en partant travailler et son regard a croisé le mien, et comme à chaque fois, rien... silence, juste ses yeux fatigués qui me scrutent et j’y vois de la colère mélangée à du dégoût. Tout son corps de femme est penché en avant comme si elle portait la misère du monde sur les épaules, c’est assez pathétique à vrai dire. Ses vieilles fringues usées et ternes, des chaussures d’une autre époque, on dirait presque une souillon ! J’avais envie de lui dire de passer son chemin, mais je n’ai pas osé. Je ne sais pas pourquoi, il y a quelque chose chez cette femme qui m’interpelle et je ne sais pas ce que c’est. Si je la recroise un jour, j’irai lui parler, promis.
Dimanche 24 janvier 2016
Ça fait une semaine que je ne l’avais pas vue, faut dire que cette semaine était assez prenante pour moi, j’ai pris la décision de changer beaucoup de choses dans ma vie et ça me prend du temps. Du coup, puisque c’est dimanche et un peu relâche, je suis allée promener en ville et c’est là que je l’ai vue. Elle aussi m’a vue, c’est étrange, nos regards se sont de nouveau télescopés, je l’ai reconnue, elle aussi m’a reconnue. J’en mettrai ma main à couper. On s’est observées en silence et cette fois, j’ai vu autre chose dans ses yeux, de l’interrogation, de la surprise, beaucoup moins de fatigue, elle était presque belle, tout ça bien entendu selon une échelle de Richter qui de 0 à 10 passerait du stade de la tête de chou pourri moisi à l’éclat de la rose fraîche du matin. Allez, aujourd’hui, je lui donne 4! Une jolie pomme de terre! Peut-être parce qu’elle ne portait pas aujourd’hui son vieux pantalon taché, mais une jupe longue, un pull fané toutefois, mais bien plus seyant. Je ne suis pas très bienveillante, ce n’est pas très gentil de ma part, mais après tout, j’écris ce que je veux, non? Personne ne le lira, alors...
Mardi 8 mars 2016
Ouhla! Mais comme le temps passe vite, c’est fou comme quand on décide de changer un truc dans sa vie, beaucoup d’autres choses suivent. J’avais commencé par faire du vide dans la maison et j’ai fini par faire du vide partout. Ça fait quelques semaines que je ne l’avais pas croisée, je l’avais presque oubliée et cet après-midi, au supermarché, paf, je vous le donne en mille, elle! J’ai failli ne pas la reconnaître, elle m'a semblé plus grande, plus droite, ses cheveux qui avaient poussé, le teint clair et un sourire éclatant sur son visage. C’est marrant, j’ai percuté que je n’avais jamais vu ses dents... Elle m’a souri en plus de ça, peut-être parce que je lui souriais aussi, tellement surprise de voir autant de vie en elle. Elle semblait voler au-dessus du sol plutôt que de marcher, une jupe plus courte montrait ses jambes, gracieuses ma foi, et de jolies chaussures à talons habillaient ses pieds. Un petit chemisier fleuri égayait le tout et je jurerais qu’elle portait des boucles d’oreilles dorées. La prochaine fois, c’est juré, je lui parle et je lui demande qui elle est.
Samedi 4 juin 2016
Alors là, j’ai un truc de dingue à dire... J’avais hier un rendez-vous en ville. Je me suis préparée, j’étais très excitée de ce moment que j’attendais depuis très longtemps. Comme je suis arrivée en avance dans le café, je suis passée par la pièce de repoudrage, les toilettes quoi! Et là... en rentrant, je me retrouve face à elle. De la patate, elle est devenue la rose du matin. Magnifique, dans une jolie robe bleue qui soulignait ses formes, les yeux pétillants de malice et les lèvres brillantes et gourmandes invitant au baiser. On a ri lorsqu’on s’est retrouvées face à face. Je lui ai posé la question « mais qui êtes-vous? », elle l’a posée en même temps que moi, d’où l’éclat de rire, assez surprenant dans ce genre de pièce... on ne s’attend pas à une quelconque rencontre dans les toilettes d’un café, aussi classe qu’il puisse être. Elle a attendu longtemps avant de me répondre. « On se connaît ? ». Elle s’est approchée de moi et moi d’elle. Nous avons levé la main en même temps l’une vers l’autre. C’était très intense et lorsqu’elle m’a dit « bonjour », j’ai bien reconnu sa voix, c’était la mienne. Et cette femme dans les miroirs et les vitrines, que je croisais régulièrement depuis des mois, n’est rien d’autre que celle que j’étais hier et celle que je suis devenue aujourd’hui.