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Atlan Quignard Reinhardt

Dernière mise à jour : 12 avr. 2020

De part et d’autre de la porte,le couloir est plongé dans la pénombre, cependant la porte au fond est encore plus noire, comme une tache porteuse d’une angoisse annoncée.

Seule trouée de clarté, la lumière blafarde de la petite lampe qui est tout au bout et qui au gré de ses balancements parvient à créer ce halo. Il doit y avoir un courant d’air qui la fait osciller. La lueur s’attarde un moment sur l’énorme serrure faisant briller l’acier et enlevant tout espoir de franchir cette porte et toutes les autres de ce long corridor. Ceux qui sont enfermés là ne doivent rien attendre, rien désirer, seulement se briser dans le désespoir.

Le rythme irrégulier du faisceau lumineux révèle les gouttes d’humidité qui tavellent les murs et le sol.

Soudain, le grincement de la lanterne métallique s’efface devant un bruit sourd d’abord, qui devient régulier au fur et à mesure qu’il se rapproche.

Un battant sur la droite s’ouvre et le son imprécis se transforme en un bruit sec, presqu’un claquement ; des bottes avancent en cadence.

Elles s’arrêtent sous la lampe ; les silhouettes sont de dos, uniformes, indifférenciées. Ce qui s’échange entre elles n’est audible que par bribes, lorsque la suspension cesse de couiner.

_ Le transfert ……. en soirée.

_ Un renfort ……. vers seize heures. Le commandant ……. prêts……..quinze heures.

_ Rassemble les ……. la situation. Aucun ……. Toléré.

Soudain des cris, ils proviennent de la cellule du fond. La porte est ouverte, des voix rauques aboient des ordres. En réponse, une autre voix hurle sa peur, sa solitude, sa détresse.

Des pieds raclent le sol dans une dernière volonté de résistance.

Les bottes ont le pouvoir de la force. Les bottes s’éloignent, les cris cessent.

Jean est étendu sur le sol rugueux de la cellule. Il a été malmené, poussé brutalement jusque là.

Il se souvient, la veille, en pleine nuit, les coups sur la porte d’entrée, durs, intransigeants, la police qui l’emmènent avec quelques compagnons d’infortune ; la police qui obéit maintenant aux ordres.

Il revoit sa femme qui le regarde partir menotté mais qui ne prononce pas un mot. Tous deux savaient qu’un jour ou l’autre cela pouvait arriver mais il avait refusé de toucher à ses convictions, refusé de renoncer. Comment un peuple peut-il .devenir ennemi de lui-même ?

Jean regarde la pièce autour de lui, un cachot exigu, noir, balafré d’une porte étroite et d’une minuscule fenêtre. Combien peut mesurer cette cellule ? Trois mètres sur deux ? Une paillasse servant de lit, un tabouret qui fait aussi office de table seront ma seule compagnie pense-t-il. Combien de temps à leur parler sans espérer de réponse ? Combien de temps avant de devenir fou ?

L’humidité le transperce de part en part. Ceux d’avant lui ont gravé leurs peurs, leur solitude et leurs espoirs dans la roche glacée des parois. Je dois prendre la relève pour sceller ma vie sur ces murs…Avec quoi ?

Il voit la nuit qui approche, j’ai de la chance, je peux entrevoir quelques étoiles par la lucarne.

J’ai froid et j’ai peur, qui va m’aider à tenir ? Ma chère Cécile, je crois entendre ta voix : n’y vas pas ce soir, j’ai un mauvais pressentiment.

Je la sais forte pour avancer, pour que notre petite Emélie puisse s’en sortir.

Ma jambe est douloureuse aujourd’hui, si je me levais, cela la soulagerait peut-être.

L’étoile par la lucarne lui semble briller davantage maintenant. Il se souvient de ce quatorze juillet où elle avait le même éclat; c’est ce jour-là que j’ai rencontrée ma Cécile. J’étais comme un idiot à regarder les autres danser et s’amuser, elle s’est approchée de moi et m’a souri et puis parlé et nous sommes restés côte à côte toute la soirée.

Plus tard elle m’a avoué qu’elle avait eu un peu pitié de moi, solitaire, trop sérieux et qu’elle s’était demandée pourquoi je ne profitais pas de la soirée comme les autres jeunes. Elle s’était sentie presqu’obligée de me tenir compagnie et elle m’a confié que finalement cela lui avait beaucoup plu. Ma compagne de tout, du bonheur, du malheur, ton absence me pèse et m’effraie.

Jean se réveille en sursaut, une lueur plombée se faufile par le fenestron. Un jour il avait connu cette clarté sans lumière ; Il était en vacances loin de chez lui, loin de ce Sud qui apparaissait toujours dans ses tableaux, triomphant, doré, aveuglant. Mais il avait aimé cette différence et il avait peint. La lande s’étalait sans retenue, seulement barrée par l’aplomb de la falaise. Elle était austère, grise et brune ; seules de minuscules fleurs blanches transgressaient la rudesse de l’ensemble. Quelques arbres aux troncs tordus venaient rompre la platitude. Ils avaient mené une lutte acharnée contre les vents tenaces pour perdurer. De petits murets de pierres sèches encadraient des parcelles d’herbe rase, maigre où l’on sentait la difficulté d’exister, mais aussi la rage têtue de se cramponner à la terre pour ne pas disparaître.

En bas l’océan lui, ne pliait jamais, imposait sa volonté, montait sans cesse à l’assaut, ne renonçait jamais au combat.

Jean devait suivre cette ligne.

Dominique


Belles analyse et description de l'état d'esprit d'un militant d'opposition dans un état totalitaire ,qui vient de se faire arrêter.(A.Caroline)

 




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