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Canicule

Paris, l’été. Pluie, vent froid, ciel gris. Comme chaque année ! Frigorifié par les 17° de mon studio, je consulte la météo depuis mon ordinateur. Pourrait-il y avoir quelques régions méconnues de moi aux températures estivales ? Périgord. 35-40°. Mon corps réclame cette chaleur.

Je prends le train. Climatisation exagérément fraiche à mon goût. Ma veste en lainage n’est pas de trop. Je descends à Périgueux. A quelques pas de la gare je me dirige vers le centre ancien avec ses ruelles infiniment étroites, chauffées par le soleil qui s’y infiltre abondamment. Bienfaisante douceur de l’air !

Je découvre les superbes demeures aristocratiques. Un hôtel particulier attire mon attention. Il ressemble à une belle construction harmonieuse du XIX

ème, à l’image des immeubles haussmanniens. Rapidement la température s’élève. J’ôte ma veste devenue lourde sur mes épaules. Je ne sais qu’en faire. Devant moi, un portail en fer forgé, sculpté, altier qui laisse deviner un parc paysager. Un court instant je m’imagine allongé à l’ombre de grands arbres. Une goutte d’eau coule sur mon visage. Surpris, je jette un coup d’œil au ciel. De gros nuages noirs s’agglutinent derrière la bâtisse mais pas de pluie. Avec ma langue j’en happe une seconde. Goût salé. Aucun doute c’est de la sueur. Soudainement je sens que j’ai chaud, très chaud. Derrière moi, à quelques pas, une imposante bâtisse, inondée du soleil au zénith, m’irradie de sa chaleur. Je remue les orteils, que je sens glisser dans mes chaussettes trempées. Je m’approche. Des perles de sueur piquante s’infiltrent dans mes yeux. Je peine à apercevoir un piler central sur lequel est gravée une discrète plaque qui indique « au boudoir ». J’y soupçonne une apaisante fraicheur. Je relève les manches de ma chemise. Quelques passants, sans l’ombre d’un doute, japonais, me rejoignent. Shorts, tee-shirts, tongs. Ils me regardent d’un air surpris. Je me devine une piètre allure. Les cheveux redressés en bouclettes serrées par l’humidité, les vêtements trempés, le pantalon alourdi, avachi sur mes pieds.

Je franchis le portail et me dirige vers le perron de pierres blanches, éblouissantes de lumière crue. Mes baskets plastifiées fondent, imprégnant les pavés de petites arabesques noirâtres. J’entrouvre une porte de bois. Un courant d’air brulant s’échappant de larges fenêtres ouvertes heurte mon visage. Je peine à respirer. Je cherche à oublier mon malaise pour admirer ce qui m’entoure. Quel faste ! Devant moi, la magnifique architecture symétrique classique. Cet hôtel particulier conserve tous les trésors du siècle passé : tentures de panne de velours rouge grenat, dorures, lustres à candélabres, fresques, moulures entrelacées, arabesques de stuc à l’harmonie italianisante. J’étouffe et jette rageusement ma veste sur un fauteuil dans lequel je m’assieds lourdement. Le velours a emmagasiné la chaleur qui règne dans la pièce. Je me relève aussitôt. Je regarde le ciel devenu noir. Le tonnerre gronde.

Soudain un éclair, un claquement sec et le fracas instantané d’un objet tombé au sol. Je me retourne et aperçois au fond de la salle un tableau gisant sur le parquet de chêne. Je m’approche. Des éclats de verre s’éparpillent sur le sol. La vitre qui protégeait le tableau s’est brisée. L’endroit est un peu sombre mais je distingue une scène bucolique. Des naïades, pudiquement drapées de voiles légers, marchent dans un cours d’eau. Leurs visages souriants laissent deviner le plaisir de leurs corps à se tremper dans cette rivière cristalline. Je m’assieds prudemment à leurs pieds écartant quelques bris de verre. Mon regard se voile. Je rejoins la Guadeloupe. De longues heures j’ai pataugé dans un sol boueux, collant, protégé des voraces moustiques par d’épais vêtements, trempés d’humidité. La chute d’eau est là toute proche. Sans prendre le temps de retirer quoique ce soit, je m’élance. Le froid me saisit, mais c’est tellement agréable à mon corps en surchauffe. Je sors de ma rêverie pour reprendre le chemin du retour et rejoindre Paris la Fraîche.

A peine rentré chez moi, je m’affale sur le divan. Je ferme les yeux, épuisé, déshydraté. Je regagne la cuisine et me verse un verre d’eau. J’inspire profondément l’air frais de mon studio. Je retourne sur mon canapé et je m’assoupis légèrement. En quelques secondes je revois la fête organisée par Johan. C’était le 29 juin, quelques jours après mon escapade dans le Périgord. Alerte météo : températures caniculaires annoncées. Johan, ne soupçonnant nullement cette exceptionnelle chaleur a souhaité une soirée chic. A 10 heures du soir, 32° dans son appartement, sous les toits, le sophistiqué ne résiste pas, chemises, cravates, vestes, pantalons, robes à frou frou s’accumulent sur les sofas. C’est à peine si dans cette touffeur nous supportons nos tenues devenues pourtant des plus légères. Les boissons alcoolisées ont fait place aux bouteilles d’eau qui circulent de lèvres à lèvres. Je pressens pour la fin de soirée une bataille rangée en de grands jaillissements liquides réchauffés par la température ambiante. Soudain les lumières se tamisent. Une main touche doucement mon épaule. Une jeune fille me sourit attendant patiemment la réponse à son invitation pour une première danse. La sono diffuse un slow connu. Son corps mince et souple suit parfaitement le rythme légèrement cadencé que j’imprime à mes pas. De peur qu’elles ne soient moites je pose délicatement mes mains sur ses hanches fines. J’effleure le tissu léger de sa robe. Ses cheveux relevés en un chignon vaporeux exhalent une senteur vanillée enivrante. A chaque passage devant les ventilateurs, leur souffle chaud soulève quelques mèches isolées qui viennent malicieusement caresser mes oreilles. Trop peu de lumière pour distinguer les traits de son visage. Peu m’importe. Nos deux corps évoluent dans une parfaite harmonie et une extrême délicatesse. J’ai tellement envie que ces lueurs de bonheur se poursuivent. Mon souhait est exhaussé. A l’instant même, Georgia interprété par Ray Charles se répand en de sublimes et suaves notes.

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