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La table en formica


Elle avait un air vintage sa table formica marron, un état impeccable, les chaises autour assorties, prêtes pour ses invités. Les murs blancs de la cuisine et les tableaux reproduits d’art moderne surplombant la table dressée, les assiettes blanches disposées et exposées à la lumière de la lampe en métal, elle pensait à présent que tout était prêt. Le dîner mijotait dans le four de la récente cuisine aux placards gris, une pièce agréable avec sa petite véranda ouverte sur la courette fleurie, le petit escalier de pierre étroit s’échappant vers l’étage. Sa nouvelle vie de couple alliait souvenirs anciens précieux tels que la table de son grand père à présent décédé et les verres ciselés et vaisselle moderne de Pierre.

Elle souhaitait réunir sa famille et celle de son compagnon. Ils venaient de prendre place, Pierre auprès d’elle et les deux couples autour d’eux. Sourires convenus et difficulté de mettre tout le monde à l’aise. Sa mère caressait avec tendresse et nostalgie les verres du grand-père. Oui, ces éléments du décor reliaient passé et présent et signifiaient qu’elle avait sa place dans la maison de Pierre.


Les deux femmes d’âge mûr avaient le même prénom, c’était drôle, et sa remarque détendait l’atmosphère ainsi que la coupe de champagne et la volonté de chacun.

La mère de Pierre avait les joues rosies par l’alcool. Pierre, décontracté posait à présent poulet découpé et pommes de terre rôties du marché sur le formica. Il commença à servir son beau père. C’était pour lui les pommes de terre car il le savait difficile et, la jeune femme dont c’était aussi le beau père, avait à cœur de lui faire plaisir.

« A toi maman »

« Merci mon chéri » dit-elle en souriant, heureuse d’être là mais remarquant que la jeune fille n’avait pas cuisiné et se demandant si elle saurait tenir une maison. Et d’observer que son mari se resservait de la salade évidemment, car avec lui jamais de restes !


La jeune femme souriait, heureuse de les voir ensemble malgré leurs différences. Ces deux couples matures suscitaient en elle des questions. Ces parents à lui, ensemble depuis quarante ans, manies de vieux couple et pourtant couple non conventionnel puisque mariés cette année, et sa mère et son beau père, oui un remariage, non sans souffrances pour elle et sa sœur. Ou était le vrai bonheur, la vie réussie, quelle serait sa propre vie avec Pierre déjà papa d’une petite fille qui partageait souvent leur vie?

La main tendre de Pierre sur son bras, carreaux de leurs chemises qui se mêlent, elle revient à la table, écoute sa mère qui parle de son mari :

« À la retraite, dès le lendemain il n’a plus jamais parlé travail, pour moi dès ma retraite j’ai du recommencer courses et cuisine. Difficile, avant, il faisait tout... »

La mère de Pierre se dit : Ce n’est pas étonnant qu’elle ne sache pas cuisiner, dire que moi je travaille, cuisine, évidemment je ne voyage pas … Mais elle ne veut pas juger et enchaîne « Nous avions une table en formica rouge, quelle bêtise nous l’avons donnée et acheté une table en plastique blanche de jardin à la place, quel dommage »

« Oui répond sa mère, ça vaut un prix d’or en brocante à l’Isle sur Sorgue »

Et la jeune femme pense à ses grands parents méticuleux, regarde le formica en parfait état, comme si rien n’avait changé. Elle y revoit les goûters pris avec sa sœur au moment de la séparation.

« Oui, elle est nickel » redit sa mère en ajustant ses lunettes.


Autour d’eux la chaleur de la pièce, et les douceurs sur la table : chocolats et mandarines, la tisane bio du soir. Elle espère que chacun a passé un bon moment, en tout cas passé et présent l’ont accompagnée et qui sait si cette table n’a pas permis à son grand père de l’aider à réussir cette soirée. Elle aime à le penser.



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